Le voyage du Pèlerin (Livre complet) (Page 6 / 24)
Chap. 5 – La porte étroite – L'Interprète
L'âme arrive à la porte étroite qui s'ouvre sur le chemin qui conduit à la vie éternelle.
Au bout de quelques temps, il arriva à la porte sur laquelle était cette inscription: “Heurtez, et il vous sera ouvert”:
7 Demandez, et l'on vous donnera; cherchez, et vous trouverez; frappez, et l'on vous ouvrira.
Il heurta donc à diverses reprises, disant en lui-même: “Ah! si je puis entrer ici, quel bienfait pour un méchant et un rebelle qui n'a mérité que l'enfer! Dussé-je y être accablé de peines, je célébrerai à jamais la gloire du Souverain de Sion, et je lui en témoignerai une reconnaissance éternelle”.
Enfin, une honnête personne, nommée Bon-Vouloir, se présenta à la porte et demanda qui il était, d'où il venait et ce qu'il voulait.
Le Chrétien - C'est un pauvre pécheur travaillé et chargé qui vient de la ville de Corruption, et qui voyage vers la montagne de Sion pour éviter la colère à venir. C'est pourquoi je vous conjure de bien vouloir m'accorder l'entrée de cette porte, puisqu'on m'a assuré que c'est le chemin où il faut nécessairement passer.
Bon-Vouloir - Je le veux de tout mon coeur.
Et, en même temps, il ouvrit la porte. Mais comme le Chrétien voulait y entrer, il le tira par la manche. Là-dessus le Chrétien lui demanda ce qu'il avait à lui dire. - Regardez, dit-il: il y a là un château très-fort dont Béelzébul est le maître. C'est de là qu'il décoche, avec ses adhérents, ses traits enflammés sur ceux qui s'acheminent à cette porte pour tâcher de les tuer, s'il était possible, avant qu'ils y soient entrés.
- Je me réjouis, dit le Chrétien, et en même temps je tremble.
Comme il fut entré par la porte, le portier lui demanda qui l'y avait adressé.
Le Chrétien - C'est l'Évangéliste qui m'a commandé de heurter ici et, en même temps, il m'a assuré que vous voudriez bien me dire ce que je dois faire ensuite.
Bon-Vouloir - Voilà devant vous une porte ouverte que nul ne peut fermer.
Le Chrétien - Maintenant je commence à moissonner le fruit de mes peines passées.
Bon-Vouloir - Mais d'où vient que vous venez ainsi seul?
Le Chrétien - Parce qu'aucun de mes voisins n'a vue, comme moi, le danger auquel ils sont exposés.
Bon-Vouloir - Quelques-uns ont-ils su que vous vouliez faire ce voyage?
Le Chrétien - Oui. Ma femme et mes enfants ont été les premiers qui m'ont vu partir.
Et là-dessus il récita au portier tout ce qui lui était arrivé: comment ses voisins l'avaient poursuivi, sa rencontre avec Sage-Mondain, la frayeur qu'il avait eue du mont Sinaï et la manière dont l'Évangéliste l'avait redressé. - Maintenant, ajouta-t-il, me voici par la bonté de Dieu. Mais, hélas! plus digne encore d'être écrasé par cette même montagne que de m'entretenir avec vous. Quel bonheur pour moi d'être parvenu jusqu'ici!
Bon-Vouloir - Nous ne faisons aucune différence entre les hommes. Quelques méchants qu'ils soient et quelques crimes qu'ils aient commis avant de venir ici, on ne rejette personne. C'est pourquoi, cher Chrétien, entretenons-nous encore un peu ensemble et je vous instruirai du chemin que vous devrez ensuite prendre. Regardez devant vous; voilà votre chemin. Il est frayé par les patriarches, par les prophètes, par Jésus Christ et ses apôtres. Il est aussi droit que s'il était tiré au cordeau. Voilà la route que vous devez suivre sans y chercher aucun détour.
Le Chrétien - Mais ce chemin est-il bien sûr et ne peut-on point s'égarer?
Bon-Vouloir - Oui, vraiment, il y a des sentiers détournés; mais ils sont encore plus bas. Ils sont tortus et larges, et c'est à cause de cela que vous devez bien prendre garde pour discerner le bon chemin du mauvais. Je vous le répète, le bon chemin est toujours droit au cordeau et étroit.
Je remarquai aussi que le Chrétien lui demanda s'il ne pourrait point le délivrer de son fardeau, car jusque-là il n'avait jamais pu s'en décharger malgré tous ses efforts.
- Quant à votre fardeau, lui répondit Bon-Vouloir, portez-le jusqu'à ce que vous soyez arrivé au lieu de la Délivrance; alors il tombera de lui-même de dessus votre dos.
Sur cela, le Chrétien se disposa à continuer son voyage. Il prit congé de Bon-Vouloir. Celui-ci lui recommanda, quand il aurait fait un bout de chemin, de heurter à la porte d'une maison qu'il trouverait sur sa route, et lui dit qu'il verrait là des choses merveilleuses. Le Chrétien prit congé de son ami, qui lui souhaita un bon voyage, et, continuant son chemin, il arriva à la maison de l'Interprète. Il heurta plusieurs fois à la porte jusqu'à ce que quelqu'un vint répondre et lui demander qui il était.
- Je suis, dit le Chrétien, un pauvre voyageur. Je cherche des instructions pour mon voyage. J'ai été adressé ici par une personne qui connaît le maître de la maison.
Celui qui avait répondu à la porte appela alors le maître qui vint recevoir le Chrétien en lui demandant ce qu'il souhaitait.
- Monseigneur, dit le Chrétien, je viens de la ville de Corruption et je vais à la montagne de Sion. Celui qui se tient à la porte sur le chemin m'a dit que si je venais ici vous me feriez voir des choses merveilleuses qui me seraient très utiles pour mon voyage.
- Entrez, lui dit l'Interprète, je veux vous montrer ce que vous demandez.
Après avoir commandé à son serviteur d'allumer une chandelle, il ordonna au Chrétien de le suivre, et le mena dans un appartement particulier. Le Chrétien y découvrit d'abord un portrait admirable. C'était un homme dont les yeux étaient élevés vers le ciel, qui avait en sa main l'Écriture Sainte et la loi de vérité sur ses lèvres, le monde était derrière lui. Il semblait à son attitude qu'il plaidât avec les hommes et une couronne d'or était suspendue sur sa tête.
Le Chrétien demanda de qui était ce portrait.
- Cet homme, répondit l'Interprète, est un entre mille. Il peut engendrer des enfants, être en travail pour les enfanter, et il les nourrit lui-même après les avoir mis au monde:
7 mais nous avons été pleins de douceur au milieu de vous. De même qu'une nourrice prend un tendre soin de ses enfants,
19 Mes enfants, pour qui j'éprouve de nouveau les douleurs de l'enfantement, jusqu'à ce que Christ soit formé en vous,
Quant à ce que vous le voyez ayant les yeux élevés vers le ciel, l'Écriture en sa main, la loi de vérité sur les lèvres et plaidant avec les hommes, c'est pour signifier que son oeuvre ne consiste pas seulement à connaître les choses cachées, mais aussi à les exposer aux pécheurs. Le monde derrière lui et une couronne suspendue sur sa tête vous montrent qu'il méprise les choses présentes pour servir uniquement son Seigneur, assurées d'avoir la gloire du siècle à venir pour récompense.
J'ai voulu vous faire voir ce tableau avant toutes choses, parce que celui qu'il représente est le seul à qui le Seigneur de la cité céleste ait donné le pouvoir d'être votre escorte dans tous les endroits périlleux que vous aurez à traverser. C'est pourquoi prenez bien garde à ce que je viens de vous montrer, et conservez fidèlement dans votre mémoire ce que vous avez vu, de peur que dans votre voyage vous ne tombiez entre les mains de certaines gens qui se vanteront peut-être de bien te conduire, mais dont les sentiers mènent à la mort.