Le voyage du Pèlerin (Livre complet) (Page 13 / 24)
Chap. 12 – Combat avec Apollyon
Combat avec Apollyon ds la vallée d'Humilité, Victoire
Quand l'âme passe par de grandes humiliations au dehors comme au dedans, le démon renouvelle ses plus furieuses tentatives pour les détourner de la foi ; mais l'âme qui reste fidèle remporte la victoire.
Quand l'âme passe par de grandes humiliations au dehors comme au dedans, le démon renouvelle ses plus furieuses tentatives pour la détourner de la foi; mais l'âme qui reste fidèle remporte la victoire.
Quand il fut venu jusqu'à la vallée de l'Humilité, il s'y trouva dans de grandes détresses; car à peine y était-il arrivé, qu'il aperçut de loin le plus grand ennemi des âmes, nommé Apollyon, autrement Destructeur, qui venait fondre sur lui.
Le Chrétien, à son approche, se trouva saisi d'une si grande frayeur, qu'il se demanda s'il devait s'enfuit ou résister; mais ayant réfléchi qu'il n'était point armé par derrière, il pensa que ce serait donner un grand avantage à son ennemi que de lui tourner le dos; parce que de cette manière il pourrait aisément être percé de ses dards enflammés. C'est pourquoi il prit la résolution de l'attendre de pied ferme; car, disait-il en lui-même, il s'agit de ma vie; ainsi le meilleur est d'aller en avant et de combattre courageusement.
Il passa donc outre, et bientôt Apollyon le joignit. C'était un monstre épouvantable, couvert d'écailles brillantes, ce qui désigne son orgueil. Il avait les ailes d'un dragon et les pieds d'un ours. De son ventre il sortait du feu et de la fumée, et sa gueule était semblable à celle d'un lion.
D'abord ce monstre jeta sur le Chrétien des regards furieux, et lui demanda d'un ton menaçant d'où il venait, et où il se disposait à aller?
- Je viens, dit le Chrétien, de la ville de Corruption, et je m'en vais à la Cité de Sion.
Apollyon - Cela seul me prouve que tu es de mes anciens sujets, car tout ce pays-là m'appartient, et j'en suis le prince et le dieu. D'où vient que tu t'es oublié jusqu'à ce point, que de te soustraire à l'obéissance de ton roi légitime? Si je n'attendais encore de toi quelque service, je te terrasserais d'un souffle de ma bouche.
Le Chrétien - Il est vrai que je suis né sous ton empire, mais ta domination m'était insupportable, et le salaire que tu donnes à tes serviteurs est si chétif qu'il est impossible qu'un homme y puisse vivre, car le salaire du péché c'est la mort.
C'est pourquoi, j'ai sérieusement pensé à secouer ton joug par un sincère amendement, suivant en cela l'exemple de bien d'autres personnes sages et sensées.
Apollyon - Il n'est aucun prince ni seigneur qui puisse souffrir que ses sujets se révoltent de cette manière. Et quant à moi, je ne prétends pas que tu m'échappes avec tant de facilité. Quant aux plaintes que tu exprimes sur la dureté de mon service et sur la pauvreté du salaire, tu n'as qu'à mettre ton esprit en repos de ce côté-là. Si tu veux rentrer à mon service, je te promets de te donner tout ce que tu voudras en ce monde.
Le Chrétien - Je me suis déjà engagé à un autre souverain, savoir au Roi des rois. Ainsi n'espère plus que je veuille jamais rentrer sous ton affreuse domination.
Apollyon - Tu as fait en cela ce que porte le commun proverbe: tu as passé d'un mauvais maître à un plus rigoureux. Aussi arrive-t-il souvent que ceux qui se disent ses serviteurs lui tournent le dos en peu de temps et reviennent à moi. Fais-en de même et tu t'en trouveras bien.
Le Chrétien - Arrière de moi! Je me suis donné à ce bon Maître, et je lui ai prêté serment de fidélité. Si, après un engagement aussi sacré, je lui étais infidèle, je mériterais de périr comme un traître.
Apollyon - Tu m'as bien joué le même tour, je suis prêt à l'oublier si tu reviens à moi tout de bon et sans délai.
Le Chrétien - Ce que je te promis alors, je le fis par ignorance et parce que tu me trompais. Non seulement je sais que le Roi sous lequel je me suis enrôlé est assez bon pour me pardonner tous les péchés que j'ai commis contre lui, et même le crime détestable de m'être donné à toi; sache, ô Destructeur, qu'à dire franchement la vérité, sa domination, sa solde, sa récompense, son service, ses serviteurs et sa compagnie valent incomparablement mieux que tout ce que tu peux m'offrir. C'est pourquoi, encore une fois, cesse de me tenter plus longtemps. Je suis son serviteur, et je veux m'attacher à lui, avec une fidélité inviolable.
Apollyon - Penses-y encore une fois, et considère surtout le peu de fruit que tu peux espérer de ton voyage. La plupart de ceux qui m'abandonnent font une malheureuse fin. Tu vantes tant l'excellence de ce Maître ... mais est-il jamais sorti de son lieu pour délivrer ses serviteurs des mains de leurs ennemis? Au lieu que je suis toujours prompt à secourir ceux qui me servent, ou à les délivrer, soit par la ruse, soit par la force. Et je promets que je ne te manquerais point dans l'occasion.
Le Chrétien - Retire-toi, te dis-je.
Apollyon - Mais répond à ce que je viens de te dire.
Le Chrétien - Le Seigneur suspend quelquefois son secours, mais ce n'est que pour éprouver l'amour et la fidélité des siens. Et ce que tu appelles une fin malheureuse où ils tombent parfois, c'est ce qu'ils regardent comme la mort la plus glorieuse qui puisse terminer leurs jours; car ils ne se mettent pas en peine d'une délivrance temporelle, ils ont devant les yeux la gloire qui leur est destinée, quand le Seigneur viendra sur les nuées de l'air avec les anges de sa puissance.
Apollyon - Tu as déjà été infidèle à son service: comment oses-tu te flatter de recevoir de lui quelque récompense?
Le Chrétien - En quoi, Destructeur, lui ai-je été infidèle?
Apollyon - Dès le commencement du voyage tu t'es fatigué et tu es tombé dans le bourbier du Découragement, où tu as manqué d'être étouffé. Tu t'es ensuite engagé dans un chemin écarté pour être déchargé de ton fardeau, au lieu que tu aurais dû justement attendre que ton prince t'en déchargeât lui-même. Tu as dormi du sommeil du péché, et dans cet état tu avais perdu ce que tu devais regarder comme le plus précieux. Tu as eu la pensée de rebrousser chemin lorsque tu as vu des lions. Enfin, dans tous tes discours et dans toutes tes actions, tu aspires secrètement à ta propre gloire. Est-ce là lui être fidèle?
Le Chrétien - Tout ce que tu dis est vrai, et il y a bien d'autres choses encore que tu ne dis pas. J'avoue que j'avais tous ces défaits pendant que j'étais sous ta puissance et dans ton pays; mais j'en ai gémi en la présence de mon Seigneur, qui m'en a miséricordieusement accordé la pardon.
A ces mots, le Destructeur entra en grande fureur et s'écria d'un ton effroyable: - Je suis l'ennemi de ton prince, des ses lois et de son peuple, et je suis venu contre toi à dessein de te combattre.
- Encore une fois, s'écria le Chrétien, arrière de moi! Je suis dans la voie du Roi, et tu ne peux m'attaquer sans lui faire outrage.
Cependant Apollyon se mit en travers du chemin et dit: - J'ai secoué toute crainte; c'est pourquoi prépare-toi à la mort, car je te le jure, par mon abîme éternel, que tu ne passeras pas plus avant; c'est ici qu'il faut que tu meures.
En même temps, il lança un dard enflammé qui vint, sifflant, droit contre la poitrine du Chrétien. Mais celui-ci le repoussa avec le bouclier qu'il avait en main. Ainsi il évité le danger, mais il vit aussi qu'il était temps de se mettre en défense et de se préparer à combattre tout de bon, car Apollyon lançait ses dards sur lui avec une extrême violence, et ils volaient à l'entour de sa tête comme une grêle; de sorte que, malgré sa résistance, il en fut finalement blessé de toutes parts: la tête, le coeur, les pieds furent atteints, ce qui le fit un peu reculer. Apollyon ne manqua pas d'en profiter et de poursuivre sa victoire. De son côté, le Chrétien s'arma de tout le courage qui lui fut possible, ce qui rendait ce terrible combat plus opiniâtre et plus long.
Le Chrétien se trouva bientôt extrêmement las, et à cause de ses plaies il s'affaiblissait de plus en plus.
Apollyon, sans perdre de temps, et profitant de son avantage, s'approcha du Chrétien de plus près dans l'intention de le terrasser; et on peu dire que, s'il ne lui donna pas le coup de mort, il l'ébranla si rudement qu'il fit une terrible chute et que son épée lui tomba des mains. Peu s'en fallut même qu'Apollyon ne l'étouffât, en l'insultant en ces termes: “Maintenant je te tiens en ma puissance, maintenant je triomphe de toi”.
Le Chrétien commença à perdre toute espérance de conserver sa vie.
Mais comme Apollyon allait faire ses dernier efforts pour perdre son ennemi, le Chrétien, fortifié d'une manière toute particulière par son Dieu, étendit promptement la main pour saisir son épée, ce qui lui réussit heureusement. En même temps, il s'écria: “Ne te réjouis pas, mon ennemi! Si je suis tombé, je me relèverai; et en disant cela, il frappa Apollyon d'une plaie terrible qui le fit reculer comme un homme blessé à mort.
Il étendit ses ailes de dragon, et s'envola de devant ses yeux de sorte que le Chrétien ne le revit plus. Alors, voyant qu'il avait triomphé de son ennemi, il dit:
Oh! Qui pourrait se représenter les cris et les rugissements dont Apollyon faisait retentir l'air pendant tout le combat, et de l'autre côté quels soupirs et quels gémissements le Chrétien poussait du fond de son coeur! Je ne pus remarquer pendant ce temps-là un seul rayon de joie sur son visage, jusqu'à ce qu'il s'aperçut qu'Apollyon avait été blessé de son épée à deux tranchants. C'est alors qu'il commença à faire éclater sa joie, en élevant les yeux au ciel pour marquer sa reconnaissance, et en chantant le cantique suivant.
Béelzébul, ce roi de la troupe infernale,
Avait lâché sur moi un de ses chefs ardents;
Ce dragon, animé de fureur sans égale,
Venait fondre sur moi sans perdre point de temps.
En vain par ses discours il tenta ma constance;
Dans un pareil combat il faut vaincre ou mourir.
Mais j'allais succomber, malgré ma résistance,
Si mon Roi n'eût été prompt à me secourir.
Oui, l'archange Michel, veillant pour ma défense,
D'un glaive à deux tranchants arma ma faible main.
Par son puissant secours j'obtins ma délivrance:
Je blessai le dragon, qui s'envola soudain.
Béni soit à jamais l'auteur de ma victoire,
Mon cher Emmanuel, mon divin protecteur!
Donne-moi désormais de vivre pour ta gloire,
Toi qui dans ce combat fus mon libérateur.
Alors j'aperçus une main qui donna au Chrétien quelques feuilles de l'arbre de vie pour les appliquer sur ses plaies, et elles furent aussitôt guéries. Sur cela, il s'assit un moment pour prendre quelque nourriture (celle qu'il avait reçue au palais Plein de Beauté); et ayant ainsi un peu repris ses forces, il se remit en chemin, tenant continuellement son épée en sa main; car, disait-il, je ne sais quel ennemi je puis encore rencontrer. Il passa cependant tranquillement la vallée sans plus recevoir aucune attaque, ni d'Apollyon ni d'aucun autre ennemi.