Au risque d'être heureux
Un chrétien peut-il faire du bonheur le but de sa vie ?
Oui, répond John Piper ! Parce que Dieu nous a créés pour être heureux en Lui. C'est ce que l'auteur appelle "l'hédonisme chrétien". Terme controversé, et pourtant pleinement fidèle à l'injonction biblique: "Fais de l'Éternel tes délices".
Notre raison d'exister est de glorifier Dieu en trouvant en lui notre bonheur éternel. Quand Dieu devient ainsi notre trésor, la source de notre entière satisfaction, il est pleinement honoré! Plus notre satisfaction en Dieu est grande, plus il est glorifié en nous.
CHAPITRE 1
Traiter le plaisir comme un devoir porte à controverse
« L'hédonisme chrétien » : voilà une expression controversée pour désigner une idée bien ancienne remontant à :
– Moïse, auteur des premiers livres de la Bible, qui proféra de sévères menaces à l'encontre de ceux qui ne cultivaient pas la joie : « Pour n'avoir pas servi l'Éternel, ton Dieu, avec joie et de bon coeur, [...] tu serviras [...] tes ennemis » (Deutéronome 28 : 47-48) ;
– David, le roi d'Israël, qui décrivait Dieu comme « sa joie et son allégresse » (Psaumes 43 : 4) et s'exclamait : « Servez l'Éternel avec joie ! » (Psaumes 100 : 2). « Fais de l'Éternel tes délices » (Psaumes 37 : 4) dit-il, en ajoutant dans une prière : « Rassasie-nous dès le matin de ta bienveillance, et nous serons triomphants et joyeux en toutes nos journées » (Psaumes 90 : 14). Il promit par ailleurs que seul Dieu peut nous procurer un plaisir total et durable : « Il y a abondance de joies devant ta face, des délices éternelles à ta droite » (Psaumes 16 : 11) ;
– Jésus, qui affirmait : « Heureux serez-vous, lorsqu'on vous insultera [...] Réjouissez-vous et soyez dans l'allégresse, parce que votre récompense sera grande » (Matthieu 5 : 11-12). Il expliqua ensuite ses propos en ajoutant : « Je vous ai parlé ainsi, afin que ma joie soit en vous et que votre joie soit complète » (Jean 15 : 11-12). Il endura la mort sur la croix « parce qu'il avait en vue la joie qui lui était réservée » (Hébreux 12 : 2 – Semeur). Et Jésus promit qu'à la fin des temps, ses fidèles serviteurs, seront accueillis par ces paroles : « Entre dans la joie de ton maître » (Matthieu 25 : 21) ;
– Jacques, le frère de Jésus, qui nous dit : « Considérez comme un sujet de joie complète les diverses épreuves que vous pouvez pouvez rencontrer » (Jacques 1 : 2) ;
– l'apôtre Paul, « attristé, quoique toujours joyeux » (2 Corinthiens 6 : 10 – NBS). Il évoqua le ministère de son équipe en ces termes : « Nous voulons collaborer à votre joie » (2 Corinthiens 1 : 24). Il ordonna aux chrétiens de se réjouir continuellement dans le Seigneur (Philippiens 4 : 4), et même de se « glorifier dans les tribulations » (Romains 5 : 3) ;
– l'apôtre Pierre, qui déclara :
– Saint-Augustin, qui en l'an 386, fut délivré de la convoitise et de la luxure, lorsqu'il découvrit la supériorité des plaisirs divins. « Quel bonheur pour moi d'être d'un seul coup débarrassé de ces joies stériles dont j'avais jadis peur de me séparer ! [...] Tu les as éloignées de moi, toi la vraie, la souveraine joie. Tu les as chassées pour prendre leur place, toi le plus délicieux de tous les plaisirs » ;
– Blaise Pascal, qui comprit que « tous les hommes recherchent le bonheur. Cela est sans exception, quelques différents moyens qu'ils y emploient. Ils tendent tous à ce but [...] La volonté ne fait jamais la moindre démarche que vers cet objet. C'est le motif de toutes les actions de tous les hommes, jusqu'à ceux qui vont se pendre » ;
– les puritains, dont le but était de connaître Dieu au point que « faire de lui leurs délices était le travail de leur vie » . Ils savaient que cette joie les « protégerait des assauts de leurs ennemis spirituels et enlèverait en eux le goût des plaisirs que le tentateur utilise pour appâter ses proies »;
– Jonathan Edwards, qui découvrit et enseigna avec persuasion que « le bonheur de la créature consiste à se réjouir en Dieu, qui est ainsi magnifié et exalté » . « La raison d'être de la création est de rendre gloire à Dieu. Et que signifie glorifier Dieu, si ce n'est se réjouir devant la gloire qu'il a déployée ? »
– C. S. Lewis, qui découvrit que « nous sommes bien trop facilement satisfaits ».
– et aux nombreux missionnaires qui ont tout quitté pour Christ et se sont finalement exclamés, avec David Livingstone : « Je n'ai jamais fait de sacrifice ».
L'hédonisme chrétien n'est donc pas un concept nouveau.
Pourquoi alors une idée tellement ancienne alimente-elle autant de débats ? L'une des raisons est que ce concept insiste sur le fait que la joie n'est pas simplement une retombée de notre obéissance à Dieu : elle en fait partie. Il semble que les gens acceptent facilement de considérer la joie, non pas comme un élément essentiel, mais comme un produit dérivé de leur relation avec Dieu. Ils sont mal à l'aise lorsqu'il s'agit d'affirmer qu'il est de notre devoir de rechercher la joie.
Ils enseignent par exemple : « Ne recherchez pas la joie mais l'obéissance ». Et l'hédonisme chrétien de répondre : « Cela revient à dire : “Ne mangez pas de pommes mais plutôt des fruits”». Parce qu'être joyeux est un acte d'obéissance. Nous avons pour ordre de nous réjouir dans le Seigneur. Si obéir consiste à faire ce que Dieu m'ordonne, me réjouir n'est pas seulement un résultat mais une partie inhérente de mon obéissance. La Bible nous encourage à maintes reprises à vivre ainsi :
La Bible ne nous enseigne pas à traiter les délices comme un simple « produit dérivé » du devoir. C. S. Lewis l'avait bien compris quand il écrivit à un ami : « C'est le devoir des chrétiens, comme tu le sais, d'être aussi heureux que possible » . Oui, c'est une démarche risquée et sujette à controverse. Mais il s'agit d'une vérité. Il est précisément de notre devoir de nous mettre en quête d'un maximum de bonheur, tant en termes de qualité que de quantité.
Un chrétien sage a décrit un jour la relation qui existait entre le devoir et les délices de la manière suivante : Imaginez qu'un mari demande à sa femme s'il doit l'embrasser avant d'aller au lit. Elle répond : « Bien sûr, tu le dois, mais pas en vertu de ce genre d'obligation ». Elle veut dire par là : « Si tu n'es pas motivé par un amour spontané pour ma personne, ton geste n'a aucune valeur morale ». Autrement dit, s'il n'y a pas de plaisir dans le baiser, je n'ai pas accompli mon devoir en embrassant ma femme. Le plaisir que j'ai en elle, et que j'exprime par un baiser, fait partie de mon devoir envers elle : ce n'est pas un simple « produit dérivé ».
Si cela est vrai, si se réjouir de faire le bien s'inscrit dans la définition même de faire le bien, la recherche du plaisir relève alors du domaine de la recherche des qualités spirituelles. Vous comprenez aussitôt pourquoi ce sujet prête tant à controverse : c'est une question très importante. « Vraiment, vous êtes sérieux ? » me demandait quelqu'un. « Vous voulez dire que le mot hédonisme n'est pas juste un moyen d'attirer notre attention ? Il introduit de fait une dimension incontournable dans la manière dont nous devons vivre : la recherche de la joie et du plaisir est vraiment nécessaire à la personne qui veut pratiquer le bien ». C'est vrai. C'est ce que je pense. La Bible le pense. Dieu le pense. C'est très sérieux. Nous ne sommes pas en train de jouer sur les mots.
Soyons parfaitement clairs : nous parlons toujours ici de plaisir en Dieu. Même la joie que j'éprouve à faire le bien s'avère être une joie en Dieu, car le bien ultime que nous recherchons est de manifester la gloire divine, et d'étendre notre joie en Dieu aux autres. Tout autre plaisir ne saurait étancher la soif de nos coeurs (en termes qualitatifs), ni combler nos besoins futurs (en termes quantitatifs). C'est en Dieu seul que réside la joie complète et éternelle.