Le jeûne biblique
Le jeûne authentique est celui qui nous délivre de notre égocentrisme et de tout ce qui nous emprisonne pour nous permettre d'entrer de plain-pied dans la dynamique de la grâce, du partage et du service.
Jeûner signifie se priver de nourriture pendant une période donnée. En français (comme en anglais d'ailleurs 'breakfast') le dé-jeûner vient interrompre le jeûne de la nuit. Dans la Bible, la pratique du jeûne n'est pas réservée à l'Ancien Testament comme on pourrait le penser. Certains passages du Nouveau Testament, moins nombreux il est vrai, y font aussi allusion. Ainsi Jésus a observé un jeûne prolongé de 40 jours avant d'entamer son ministère
Il a aussi donné un enseignement sur le jeûne
La Bible en parle souvent puisqu'on y trouve plusieurs dizaines de références. Le jeûne biblique invite à se rendre disponible devant Dieu pour se mettre à son écoute et passer du temps dans la prière personnelle ou communautaire. Déjà sous l'ancienne alliance, la loi de Moïse avait instauré un jeûne annuel à l'occasion du Yom Kippur
Si Dieu approuve la pratique du jeûne, il en désapprouve le mauvais usage. Déjà Jean Chrysostome, un Père de l'Eglise du 4ème siècle, disait ceci : « le jeûne est un remède inutile et même dangereux pour celui qui en ignore les caractères et les conditions ». En revanche, le jeûne peut devenir un puissant soutien et une aide efficace pour celui qui le vit conformément à la volonté de Dieu. Avant d'en venir à ce bon usage du jeûne, arrêtons-nous un instant sur son mauvais usage.
1- Le mauvais usage du jeûne
Le jeûne hypocrite prend appui sur l'apparence. C'est celui que Jésus dénonce dans le sermon sur la montagne où il s'en prend à ceux qui font « triste mine rendant leur visage tout défait » en jeûnant (Mt 6 : 16). Jésus dénonce un usage hypocrite du jeûne qui consiste à attirer l'attention des autres sur sa vie spirituelle, ce qui revient à faire du théâtre. Le danger ici c'est de jouer au « super-spirituel » comme le pharisien de la parabole qui se glorifie de jeûner deux fois la semaine (Luc 18 : 12).
Le ressort du jeûne n'est alors plus la foi mais l'orgueil. Ce jeûne-là se trompe de destinataire. Il ne cherche plus la présence de Dieu mais l'admiration des autres. C'est pour prévenir une telle dérive que Jésus préconise la discrétion (Mt 6 : 17-18). La question que Jésus pose par ses recommandations, c'est : pourquoi jeûnes-tu ? Quelles sont tes motivations quand tu jeûnes ? Déjà dans l'Ancien Testament, les auteurs bibliques nous mettent en garde contre les mauvaises motivations du jeûne (Zacharie 7 : 5). C'est ainsi que Jézabel a convoqué un jeûne collectif dans le but d'accuser injustement Naboth qui refusait de vendre sa vigne (1 Rois 21 : 9-10).
Une autre manière de contourner le vrai motif du jeûne, c'est d'en faire un moyen de pression sur Dieu en donnant à l'acte lui-même un pouvoir qu'il n'a pas. Comment ? En pensant par exemple que le fait de jeûner va nous ouvrir des portes secrètes auprès de Dieu ou bien en supposant que notre jeûne va obliger Dieu à nous exaucer en raison de l'effort qui accompagne notre prière. Le risque est grand alors de réduire le jeûne à une oeuvre méritoire ? Or tout est grâce auprès de Dieu (Eph. 2 : 8-10).
Un usage légaliste du jeûne est une autre pratique non conforme à l'enseignement biblique qui guette surtout ceux qui jeûnent régulièrement. Car alors on réduit le jeûne à une règle qu'on s'oblige à observer soi-même quand on ne l'impose pas aux autres. Au lieu d'être vécu dans la joie et la reconnaissance, le jeûne peut devenir un fardeau pénible. Or jeûner, c'est avant tout se réjouir dans la présence de Dieu, c'est prendre du temps pour être disponible devant Dieu. Ce n'est sans doute pas pour rien si dans le Nouveau Testament, la pratique du jeûne est plutôt occasionnelle, liée à des circonstances particulières (Ac 13 : 1-3 ou 14 : 23) car on évite alors plus facilement le piège du légalisme.
Enfin, le jeûne peut servir de paravent à une fausse perception de son corps. C'est le jeûne pratiqué comme moyen de mortification ou comme une forme d'ascèse. Les partisans de ce type de jeûne supposent que le corps est méprisable. Source de tous les vices, il doit être dompté. C'est une vision païenne de la nature humaine qui nous vient de l'antiquité grecque mais qui est étrangère à la Parole de Dieu, laquelle nous enseigne au contraire que « le Seigneur est pour le corps » (1 Co 6 : 13) et que « tout ce que Dieu a créé est bon et que rien n'est à rejeter pourvu qu'on le prenne avec action de grâce car tout est consacré par la parole de Dieu et la prière » (1 Tim 4 : 5). Jeûner peut effectivement servir à la maîtrise de son corps mais jamais au mépris de son corps.
Ce sont sans doute de tels abus qui ont jeté le discrédit sur une pratique que Jésus lui-même recommande et qui peut devenir une source de bénédiction. Arrêtons-nous à présent sur le bon usage du jeûne à partir de ce que le prophète Esaïe déclare.
2- Le bon usage du jeûne
Le jeûne comme libération
Les verbes que Dieu utilise au verset 6 d'Esaïe 58 pour qualifier le vrai jeûne, nous aident à mieux comprendre la véritable signification du jeûne : « détache... dénoue... renvoie libre ». Le jeûne authentique est celui qui nous délivre de notre égocentrisme et de tout ce qui nous emprisonne pour nous permettre d'entrer dans la dynamique de la grâce, du partage et du service (Es 58 : 7). Encore une fois, ce n'est pas le jeûne qui libère (il n'en a pas le pouvoir) mais le jeûne nous permet d'être disponible devant Dieu et de dépendre davantage de lui. En jeûnant, nous plaçons Dieu en premier dans notre vie, avant même ce qui reste une priorité pour vivre à savoir se nourrir. En jeûnant, nous mettons le Christ au centre de notre vie afin de le laisser agir par son Esprit en nous. Jeûner ne consiste pas à faire pression sur Dieu pour obtenir une libération mais à se mettre dans de meilleures dispositions pour écouter Dieu, recevoir de lui ce qu'il a à nous dire et le laisser nous transformer de l'intérieur. Celui qui jeûne refuse de se laisser distraire par quoique ce soit pour se consacrer entièrement à la prière et à l'écoute de Dieu.
Dans son livre sur la pratique du jeûne, Yan Newberry fait remarquer que « la prière accompagnée du jeûne n'est pas un moyen d'obtenir ce que nous voulons, c'est plutôt une occasion de devenir ce que Dieu veut que nous soyons ». La pratique du jeûne nous permet de faire le point devant Dieu, de lui remettre notre vie, ce qui occupe nos pensées, et nous décharger sur lui. Car ce qui se passe dans nos pensées et dans notre vie privée intéresse le Seigneur. Il veut y régner en Maître. Sommes-nous rongés par la rancune, la jalousie ? Avons-nous laissé les racines d'amertume pousser en nous ? Avons-nous du mal à voir clair en nous, à pardonner ? Avons-nous refoulé des sentiments parce qu'ils nous font souffrir au point que nous ne pouvons y faire face ? Asservissons-nous notre corps à des pratiques qui ne glorifient pas Dieu ? Le jeûne peut s'avérer utile dans ce combat spirituel. Yan Newberry écrit que « nos appétits insatiables et nos désirs humains sont comme des fleuves qui ont tendance à déborder sur leurs berges; jeûner nous aide à les maintenir dans leur lits ». L'apôtre Paul nous exhorte en ces termes : « tout m'est permis mais tout n'est pas utile, tout m'est permis mais je ne me laisserai asservir par quoique ce soit » (1 Corinthiens 6 : 12). Parce qu'il nous rend plus disponibles devant Dieu, le jeûne nous aide à nous saisir de la libération que le Christ a acquise pour nous à la croix.
Le jeûne comme partage
« Partage ton pain avec celui qui a faim » (Es 58 : 7). La pratique du jeûne et de la prière ne concerne pas seulement nous-mêmes mais aussi les autres. Augustin a dit : « jeûner et partager : la prière prend son envol portée par ces deux ailes. Jeûne donc de sorte qu'un autre ayant mangé à ta place tu te réjouisses d'avoir ainsi pris ton repas ». S'il ne concerne que soi-même, le jeûne reste incomplet. La pratique du jeûne et de la prière tend à transformer notre regard et notre coeur en le rendant plus généreux, moins égocentrique car le jeûne nous permet de revoir nos priorités y compris dans le domaine matériel.
Le jeûne communautaire
Le jeûne n'est pas seulement individuel dans la Bible. Il peut aussi être collectif. A Antioche pendant que les chrétiens jeûnaient, Dieu leur a dit de mettre à part Barnabas et Saul (Actes 13 : 1-3). Ce jeûne collectif est intimement lié au service pour Dieu comme le précise le verset 2 et sera à l'origine de la première mission d'envergure puisqu'il débouche sur le premier grand voyage missionnaire de l'apôtre Paul. Le jeûne collectif dans la Bible remplit différentes fonctions. Ce peut être un jeûne d'humiliation (comme ce fut le cas du temps de Néhémie en Néh 9) ou bien un temps à l'écoute de la Parole de Dieu où on apprend à discerner sa volonté comme ce fut le cas pour l'envoi de Paul et Barnabas ou encore lors de la consécration des anciens en Actes 14 : 23.
Un jeûne pratiqué dans cet esprit d'humilité, d'écoute, de disponibilité et de partage ouvre de nouveaux horizons :