Observation d'un ébloui (Page 1 / 2)

Une étude de Alain Auderset

Observation d'un ébloui - partie 1

Juste parfait

Ma voiture glisse sur le bitume de cette route de campagne telle le surfeur sur sa vague. Pareilles que cette dernière, les collines montent, descendent et finissent par me bercer. Le chemin résolument droit et désert fend en deux un paysage reposant et pittoresque composé uniquement de vignes. Mon auto ronronne de bonne santé, « elle est comme neuve... !» a dit mon garagiste « embrayage neuf, révisée... bonne pour 10 ans !».

Un délicieux café au caramel me réchauffe l'œsophage, et… oh joie suprême ! je viens d'acquérir un petit accessoire très pratique qui me permet de fixer mon smartphone (y tombait tout le temps le bâtard !). Un chemin idéal, tout tracé par mon GPS, me mène à plusieurs rendez-vous, tout plus sympas les uns que les autres. D'abord chez Derib, l'auteur de la BD Yakari, que je me réjouis grave de rencontrer, puis avec les bords du lac aux alentours de Montreux dont je me remplirai les yeux, et, finalement, avec les hauteurs majestueuses des Alpes que j'admirerai tout en m'élevant doucement vers des sommets aux panoramas de ouf sa mère.

Ce soir, je serai l'animateur de la soirée d'un modeste camp de ski pour ados, dans un chalet accroché au sommet d'une montagne. C'est tellement chill!, et pour en rajouter une couche, je demande à Dieu de m'utiliser tel un canal entre Lui et eux, pour qu'Il puisse déverser du bonheur sur la vie de tous ceux que je rencontrerai dans mon périple (je précise : je prie sans fermer les yeux, ni joindre les mains !) Même le soleil a quelque chose d'enjoué, voir farceur, car pile au sommet du dos d'âne, il m'aveugle, l'air de dire : « Coucou ! devine qui c'est ?! »...

A peine un instant d'éblouissement. Je revois et... plus de route !?

Je plante les freins, mais en vain. Ma voiture fonce maintenant à la descente, dans le vignoble. Sans que je ne comprenne plus rien, je percute de plein fouet un « bête » muret et... Pan !

Ce bruit d'une rare violence me glace le sang et, instantanément, des airbags rose bonbon me pètent à la figure. La charge explosive du mécanisme de ceinture de sécurité*se déclenche pour instantanément me plaquer au siège.Le choc est indécent, tant il est en décalage avec l'ambiance, jusque-là idyllique.

La perplexité, le désespoir et une fumée de talc se répandent dans tout l'habitacle me laissant un peu sonné et dans un flou total...

- Non ! Non ! C'est trop bête !

Mon bon sens rage de ne pouvoir copieusement me baffer !

Des éclats de ma voiture sont répandus un peu partout et ce mignon maudit petit muret, coincé entre les roues avant et arrière de mon véhicule, est juste assez haut pour l'immobiliser dans une position instable et ridicule.

Les dépanneurs blasés de voir des accidents à longueur de journée me tirent de ce mauvais pas à l'aide d'un treuil (l'exceptionnel des autres, c'est leur routine). Ils remorquent ma « belle » voiture aussi dépitée que moi sur le dos de leur camion. Selon mes secouristes, ma voiture est bonne pour la casse : trop de frais...

*authentique, le terme exacte est «prétensionneur »

Le sommet

Alors que je vois ma voiture s'éloigner au loin, je réalise qu'un tas de factures ne tarderont pas à me venir en retour ! En attendant, je serai tenté d'entamer les colis de « pourquoi ?» qui tentent déjà d'encombrer ma tête, mais je suis trop occupé à penser à mes jeunes qui m'attendent sur les sommets. A dire vrai, je n'en connais aucun, mais sachant que ce je leur amène peut booster leur existence, j'estime qu'ils sont bien plus importants que mes petits tracas.

Je pars donc les rejoindre au volant d'une voiture de location (à laquelle j'ai droit durant 24h).

Dans une tentative désespérée de ne pas tout perdre du bonheur que j'ai crû toucher du doigt il y a si peu, je tente de récupérer l'accessoire pour fixer mon portable. Mais il est en plastique hyper fragile, le traître, et la multitude des petites pièces et ressorts qui le compose ont pernicieusement glissés dans le conduit de ventilation. Ce tragique épisode finit de tuer mes derniers espoirs de sérénité (c'est quasi irrécupérable même avec un tournevis de fortune ±“#Ç[]|! que Dieu pardonne la chine)...

La soirée

Assis en cercle autour de moi, les ados m'écoutent dans un silence passionné qui force le respect. Je devine parfois des situations familiales difficiles, une maman affectueuse qui prie pour son enfant. Rien qu'en les regardant, avec pour certains de bons départs, plus boiteux pour d'autres, mais aussi pour d'autres encore de nouveaux départs, je ressens des ambiances de c?ur : presque une mélodie et des couleurs. J'ai une grande affection pour chacun d'eux. Je ne m'explique pas très bien tout cela ; mais bon, faut dire qu'avec Jésus, on en a parlé ensemble des heures durant, quasi tout le trajet en voiture. Finalement, c'est peut-être normal ?!

Mais rassurez-vous : si par hasard je m'imaginais devenir un Jedi, aussitôt je me rappellerais que je suis surtout un type assez débile pour avoir fait un accident au beau milieu de nulle part !

Diane debout !

5 heures du mat' à peine que déjà mon fragile sommeil m'éjecte fissa de mon lit ! La responsable me remercie encore chaleureusement et, ni une ni deux, je me retrouve dehors, confronté à un froid si glacial qu'il me pétrifie sur place. Je suis pourtant déterminé à reprendre la route et réussis à me plier suffisamment pour rentrer dans mon véhicule. Ma patrie a besoin de moi, mille sabords !

Je suis attendu à l'autre extrémité du pays, à Bâle, où se tient une manifestation regroupant 6'500 jeunes germaniques. Chacun d'eux en vaut la peine et je crois que malgré mon accent catastrophique (Berndütsch du Jura : on peut difficilement imaginer pire !), j'ai pour eux aussi une cargaison de trésors intérieurs à lâcher (non, je ne parle pas de pets...) !

Photo de Alain Auderset
Auteur de bandes dessinées - Humoriste
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