La bénédiction de ne rien posséder
Avant que l'Eternel ne fît l'homme sur la terre, Il prépara sa venue en créant un monde de choses utiles et agréables pour les besoins et la joie de l'homme, mais qui devaient toujours rester en dehors de lui et soumises à lui.
Au centre du coeur de l'homme, il y avait un sanctuaire où personne d'autre que Dieu n'était digne d'entrer. Dieu était en lui, et en dehors de lui se trouvaient ces milliers de dons que Dieu avait répandus en abondance sur lui. Mais le péché a tout compliqué et a fait de ces dons-mêmes de Dieu une source potentielle de destruction pour l'âme.
Nos malheurs ont commencé quand nous avons chassé Dieu de ce sanctuaire central et que nous avons permis aux « choses » d'y entrer. Dans le coeur humain, les « choses » ont pris le pouvoir. Maintenant, les hommes n'ont par nature aucune paix dans le coeur, car Dieu n'y est plus Roi. Il y a désormais dans le coeur humain une racine dure et fibreuse de la vie déchue dont la nature est de vouloir posséder encore et toujours. Elle convoite les « choses » avec une passion profonde et tyrannique. Les possessifs « mon » et « mien » ont l'air bien innocents sur papier, mais leur usage universel et constant est significatif. Ils expriment la nature réelle du vieil homme adamique mieux que ne le feraient mille volumes de théologie. Ce sont des symptômes verbalisés de notre maladie profonde. Les racines de notre coeur ont poussé au milieu des « choses », et nous n'osons en arracher une seule de peur de mourir. Les « choses » nous sont devenues nécessaires, ce qui n'était pas le cas à l'origine. Les dons de Dieu ont maintenant pris la place de Dieu, et tout l'ordre de la nature est renversé par cette monstrueuse substitution.
Notre Seigneur fit allusion à cette tyrannie des « choses », quand Il dit à ses disciples: « Si un homme veut venir après moi, qu'il renonce à lui-même, qu'il se charge de sa croix, et qu'il me suive. Car celui qui voudra sauver sa vie la perdra, mais celui qui la perdra à cause de moi la trouvera. » (Mat.16.24) Il semblerait donc qu'en chacun de nous se tient un ennemi que nous tolérons à nos risques et périls. Jésus l'appelle la « vie » et le « moi », ou, comme nous dirions, « la vie du moi ». Sa principale caractéristique est la possessivité: les mots « gain » et « profit » le suggèrent. Permettre à cet ennemi de vivre, c'est en fin de compte tout perdre. Le répudier et tout donner pour Christ, c'est ne rien perdre en fin de compte, mais préserver toutes choses pour la vie éternelle. Jésus nous suggère probablement ici que le seul moyen efficace de détruire cet ennemi, c'est le moyen de la croix.
Le chemin vers la connaissance plus profonde de Dieu passe par les vallées solitaires du dépouillement de l'âme et de l'abnégation en toutes choses. Les élus qui possèdent le Royaume sont ceux qui ont rejeté toutes choses extérieures et ont déraciné de leur coeur tout désir de possession. On ne doit pas comprendre ceci comme un simple enseignement biblique à emmagasiner dans sa tête avec une masse inerte d'autres doctrines. C'est une borne sur la route qui mène à des pâturages plus riches, un chemin taillé dans les flancs escarpés de la montagne de Dieu. Prenons garde de ne pas la contourner si nous voulons continuer cette recherche spirituelle. Nous devons gravir une marche à la fois. Si nous refusons une seule étape, nous arrêterons là toute ascension. Nous avons souvent de la difficulté à abandonner nos trésors au Seigneur, craignant pour leur sécurité; ceci est spécialement vrai quand ces trésors sont des parents aimés et des amis. Cependant nous ne devons pas avoir de telles craintes. Notre Seigneur n'est pas venu pour détruire, mais pour sauver. TOUT ce que nous Lui confions est en sécurité, mais tout ce qui ne Lui est pas confié ne peut être réellement en sécurité. Que le chrétien qui recherche sincèrement Dieu foule aux pieds les embûches et les séductions de son coeur mauvais, et qu'il insiste pour avoir avec le Seigneur des relations franches et ouvertes. S'il agit diligemment et de façon suffisamment radicale, il peut réduire le temps de son épreuve à quelques instants plutôt que de la subir pendant des années, et il peut entrer dans le bon pays bien avant ses frères plus lents, qui prennent soin de leurs sentiments et insistent sur la prudence qu'on doit mettre dans nos relations avec Dieu.
N'oublions jamais qu'une telle vérité ne peut être apprise par coeur comme on apprendrait les faits de la physique. On doit la vivre avant de pouvoir la connaître réellement. Nous devons vivre dans notre coeur l'expérience difficile et amère d'Abraham, si nous voulons connaître la bénédiction dont elle est suivie. L'ancienne malédiction ne disparaîtra pas sans souffrance; le vieil homme cupide qui est en chacun de nous n'est pas du genre à courber la tête ni à s'effacer à notre commandement. On doit l'arracher de notre coeur comme on arrache une plante du sol, une dent de notre mâchoire, l'expulser de notre âme avec violence, comme Christ a chassé les marchands du temple. Il faudra, de plus, nous armer contre ses supplications pathétiques, et reconnaître qu'elles ont leur source dans notre apitoiement sur nous-mêmes, un des péchés les plus répréhensibles du coeur humain.
Si nous voulons vraiment connaître Dieu dans une intimité croissante, nous devons marcher dans cette voie de renoncement. Et si nous nous appliquons résolument à nous attacher à Dieu, Il nous fera tôt ou tard passer par cette épreuve. Quand Abraham a été éprouvé, il ne savait pas, à ce moment-là, qu'il s'agissait bel et bien d'une épreuve de sa foi. Pourtant, s'il avait choisi une autre voie que celle qu'il a choisie, toute l'histoire de l'ancien testament aurait été différente. Dieu aurait sans doute trouvé l'homme qu'il Lui fallait, mais pour Abraham, la perte aurait été tragique au-delà de toute expression. C'est ainsi que nous serons menés, un à un, au lieu de l'épreuve, et il se peut que nous n'en sachions pas l'heure. En ce lieu, il n'y aura pas une dizaine de choix possibles pour nous, mais un seul choix, une seule alternative.
Tout notre avenir dépendra de ce choix.
A.W. Tozer, extrait de « A la recherche de Dieu »