Parabole : La passerelle
Je courus plus près encore du bord de la passerelle pour voir si je pouvais le secourir. Mais je me rendis compte qu'en mettant un pied sur le pont fragile, je déséquilibrerais l'homme du même coup. Je ne pouvais qu'essayer de l'avertir du danger.
La passerelle n'avait rien pour la stabiliser, rien qui puisse l'empêcher de se balancer. Elle s'étirait dangereusement au-dessus d'un gouffre profond et parsemé de rochers. Fait de deux câbles reliés par des lattes de bois, sans main courante, ce pont n'était pour moi qu'un piège mortel. Je n'aurais jamais envisagé d'emprunter ce passage bien trop dangereux.
C'est alors que j'aperçus un pauvre homme insensé qui s'était aventuré sur la passerelle. Comme un équilibriste amateur, il tendait ses bras pour trouver l'équilibre. Il avançait, centimètre par centimètre, vers l'autre côté, les yeux rivés vers le bas et vers ses jambes tremblantes et ses pieds peu assurés. La passerelle de bois s'inclinait et se balançait sous son poids.
Je me précipitai au bord du précipice. Le fond du gouffre se dérobait à la vue, couvert par la brume du matin. Ce brouillard se déplaçait comme un fleuve en suivant cette échancrure terrestre si profonde.
Mes yeux revinrent vers l'homme. Il avait fait de surprenants progrès dans sa traversée et se trouvait maintenant à mi-chemin entre les deux côtés. De tout mon coeur, je souhaitais qu'il réussisse à passer, mais soudainement, le nuage de brume s'éleva du gouffre et recouvrit la passerelle devant l'homme. Il n'en était pas encore conscient, car ses yeux étaient fixés sur ses pieds. Je sus sans le moindre doute que si cet homme entrait dans le brouillard, il allait perdre l'équilibre et chuter vers une mort certaine.
Je courus plus près encore du bord de la passerelle pour voir si je pouvais le secourir. Mais je me rendis compte qu'en mettant un pied sur le pont fragile, je déséquilibrerais l'homme du même coup. Je ne pouvais qu'essayer de l'avertir du danger.
« Monsieur, arrêtez ! » criai-je. « Vous devez vous arrêter ! Le brouillard est devant vous. »
L'homme se tourna vers moi. A ce moment-là, une douleur insupportable traversa mon âme. L'homme était mon propre frère, Jürgen. Ignorant mon avertissement, il poursuivit dans l'autre direction et disparut dans le brouillard.
« Jürgen ! Jürgen ! » criai-je.
Puis j'entendis un cri, suivi d'un terrible hurlement qui allait décroissant et se répercutait sur les parois abruptes du gouffre : « Reinhaaaaard ! »
Je me réveillai en sursaut et couvert de sueur. Mon coeur battait si fort dans ma poitrine. Un millier de sentiments enfouis ressurgirent tout d'un coup et me submergèrent. J'aurais voulu éclater en sanglots pour Jürgen. Je savais qu'il s'était éloigné de Jésus.
Seigneur, qu'est-ce que cela signifie ?
La réponse fut précise et directe : Jürgen est sur le pont de l'éternité. Si tu n'avertis pas l'impie, son sang sera sur tes mains.
J'émis immédiatement une objection. Seigneur, ce n'est pas logique. Je sais que Jürgen s'est éloigné de toi, mais comment puis-je l'avertir alors qu'il connaît la voie du salut aussi bien que moi ?
Pourquoi ai-je discuté ce que Dieu me disait ? Je ne sais pas. Peut-être ai-je réagi comme Marie quand l'ange Gabriel est venu lui annoncer qu'elle allait avoir un bébé. D'un point de vue humain, pour elle, cela n'avait aucun sens. Elle dit : Seigneur, comment cela se fera-t-il, puisque je ne connais point d'homme ? Ce n'était pas une question d'incrédulité, mais une interrogation sur la manière d'obéir.
Jürgen et son jumeau, Peter, avaient été proches de moi, à la fois à cause de notre âge ainsi que par nos expériences. Nous avions beaucoup de souvenirs communs. Ils n'avaient pas tout à fait six ans et j'en avais cinq quand nous fûmes obligés de fuir pour sauver notre vie, à la fin de la Guerre. Notre mère avait prié et lu sa Bible chaque jour pour chercher auprès de Dieu la direction à suivre et la protection pour ses enfants. Nous avions survécu à l'internement dans un camp de réfugiés.
Quand il fut libéré de ses obligations militaires, mon père devint un pasteur pentecôtiste et nous fûmes enfin réunis. Cependant, au fur et à mesure des années, tous mes frères aînés – Martin, Gerhard, Peter et Jürgen – commencèrent à remettre en question la foi familiale. Même les nombreuses fois où nous fumes épargnés au cours de la chute de la Prusse orientale furent remises en question. Ils trouvèrent d'autres explications plus naturelles. Ce n'était pas l'intervention divine, mais la chance, des coïncidences, le destin – tout, mais pas Dieu. La guérison de mon père de la tuberculose pouvait, elle aussi, s'expliquer par la psychologie et les symptômes psychosomatiques.
Je sais que c'est une histoire courante, qui survient dans bien des familles. Certains enfants demeurent dans la foi alors que d'autres s'en éloignent. Une phrase triste se lit à plusieurs reprises dans la Bible au sujet de l'histoire du peuple de Dieu : Ils abandonnèrent l'Éternel, le Dieu de leurs pères, qui les avait fait sortir du pays d'Egypte. Ce verset se réalisa devant mes yeux alors que nous grandissions, Jürgen et moi. Il abandonna, ainsi que mes autres frères, les voies du Seigneur, et cela me fit mal.
Ma jeune soeur Felicitas et moi-même faisions partie de la même famille, et nous sommes demeurés dans la foi de nos parents jusqu'à ce qu'elle devienne réelle pour nous aussi. D'où vient la différence ? Il y a probablement autant d'explications qu'il y a de familles.
Je sais qu'en Allemagne, après la guerre, il y avait beaucoup de sentiments d'accusation. Tout ce qui provenait de la génération précédente était sous les feux de la critique. Les affirmations de nos pères au sujet de la faveur miraculeuse de Dieu étaient placées au même rang que les découvertes des camps d'extermination et d'autres horreurs perpétrées par les nazis.
« Où était Dieu ? demandait mon frère. Pensez-vous que les Bonnke sont ses préférés ? Nous avons pu nous échapper alors que des milliers sont morts autour de nous ! Quel genre de Dieu aurait voulu une telle chose ? »
Avec des questions de ce type, mes frères rejetèrent la foi et commencèrent à idolâtrer l'intelligence humaine et la science. Ils étaient déterminés à ne pas répéter les erreurs de la génération précédente. Ils considéraient que la foi en Dieu pouvait facilement faire l'objet d'une manipulation, et ils imaginaient, à tort, que leur intelligence pouvait les préserver d'une telle chose. Ils se consacrèrent corps et âme à leurs études au moment où je m'engageais dans les activités de l'église de mon père. Nos chemins allèrent dans des directions opposées.
Les années précédentes, alors que CfaN se développait, j'étais retourné en Allemagne à plusieurs reprises. Je souffrais dans mon coeur de voir mes frères rester sur leurs positions et s'endurcir même face à l'Evangile, alors que dans le même temps, je voyais des multitudes accepter le Seigneur dans le monde entier. ...
Pourquoi me dis-tu maintenant que si je n'avertis pas l'impie, tu me redemanderas son sang ? Qu'est-ce que cela signifie ? Dois-je lui prêcher le sermon qu'il a déjà entendu des milliers de fois ? Apprendra-t-il quelque chose de nouveau si je lui dis qu'il est un pécheur et qu'il se dirige vers l'enfer ? Il sait que tu as envoyé Jésus pour mourir pour ses péchés. Je ne comprends pas.
Le Seigneur murmura dans mon coeur : Ecris-lui une lettre et raconte-lui ce que tu as vu dans ton rêve.
Oui ! C'était bien Dieu qui me parlait ! Cette idée ne me serait pas venue toute seule. D'accord, Seigneur, je vais le faire, dis-je. Puis je me retournai dans mon lit et me rendormis.
Le lendemain matin, je me réveillai et commençai ma journée avec ma famille. La préparation de notre déménagement en Allemagne procurait beaucoup d'enthousiasme, au point où j'en oubliais mon rêve. Tout d'un coup, au milieu de la journée, j'entendis l'Esprit me parler distinctement. Tu n'as pas écrit la lettre, je te redemanderai son sang.
J'arrêtai tout ce que je faisais et me retirai dans mon bureau immédiatement. Puis, j'écrivis une lettre à Jürgen dans laquelle je lui racontais ce que j'avais vu dans mon rêve. Puis je l'envoyai par avion.
Au cours des semaines qui suivirent, je n'eus aucune réponse. Je laissai la question entre les mains de Dieu. J'avais obéi. Je poursuivais mes projets et cette histoire me sortit complètement de l'esprit. ...
Nous nous sommes installés dans notre nouveau quartier général à Francfort. Immédiatement, les choses commencèrent à s'améliorer dans tous les aspects. Nous avons vu que nos passeports allemands et que nos visas étaient acceptés partout. Les transferts d'argent étaient faciles. Les réservations des billets d'avion étaient fermes. Toutes les sanctions érigées contre l'Afrique du Sud disparurent de notre univers aussitôt que nous avons changé d'adresse. C'était une confirmation de la sagesse de cette décision.
Les finances s'améliorèrent également. Nos donateurs sud-africains ne représentaient plus que cinq pour cent, mais les Allemands et les Anglais augmentèrent et devinrent même plus nombreux que ce que nous avions auparavant. C'était comme s'ils avaient soudainement pensé à nous comme un des leurs puisque notre base était en Europe. Nous n'avions pas prévu cela. Les bienfaits du déménagement commençaient à s'accumuler.
Quand Anni et moi sommes partis d'Harare, nous avons trouvé à la maison une pile de courriers qui nous attendait. Avec les enfants – Freddy, Susanne et Gabriele – nous nous sommes mis à le trier. Les enfants espéraient avoir des nouvelles des amis qu'ils avaient laissés à Witfield, et nous aussi. Après quelques minutes, Anni me tendit une enveloppe dont l'adresse était écrite à
la main.
« Tu devrais commencer par lire celle-ci, » dit-elle.
Je pris l'enveloppe et examinai l'adresse.
Elle venait de Jürgen Bonnke. Tout d'un coup, je me souvins de ma lettre quelques semaines plus tôt. Je n'avais jamais eu de nouvelles, et dans l'enthousiasme de la Conférence à Harare, je l'avais complètement oublié. Je recevais maintenant cette lettre en Allemagne.
Anni et les enfants savaient quelle importance j'attache aux relations familiales. Ils se rassemblèrent autour de moi pour voir ce que Oncle Jürgen avait écrit.
Je déchirai l'enveloppe et dépliai la lettre.
Cher Reinhard,
ma femme m'a quitté. Mon meilleur ami est mort récemment d'un cancer. Je me suis senti si frustré que j'ai eu le sentiment que la vie ne valait pas le coup d'être vécue. Je voulais me tuer. Mais une nuit, j'ai fait un rêve. Je marchais sur un pont. Il était instable et je n'avais pas de main courante pour me tenir. J'ai glissé et je suis tombé en hurlant. Je me réveillai couvert de sueur ...
A ce moment-là, ma voix se mit à trembler d'émotion. Anni et les enfants ne comprenaient rien à tout cela. Ils ne savaient pas que Jürgen décrivait mon rêve. Je ne leur avais rien dit de ce que j'avais vécu. Je poursuivis la lecture ...
J'ai sauté hors de mon lit et j'ai dit : « Dieu tout-puissant, tu sais que je ne crois même plus en toi, mais j'ai un frère qui te sert. Si c'est toi qui m'as parlé au moyen de ce rêve, parle-moi par l'intermédiaire de Reinhard. » Quelques jours plus tard, ta lettre est arrivée. Ton rêve était le même que le mien. J'ai donné ma vie à Jésus. Il a pardonné tous mes péchés ...
Je ne pouvais plus contenir mes larmes et je ne pouvais même plus parler. Il me fallut faire un effort pour expliquer à Anni et aux enfants ce que tout cela voulait dire. Quand ils eurent enfin compris, ils partagèrent mes larmes et ma joie. Ce genre de choses me fait me prosterner devant le Roi des rois et le Seigneur des seigneurs. Combien ce témoignage révèle son immense amour envers nous.
Les liens qui unissent une famille ont certainement plus de valeurs dans l'Esprit que ce que nous pouvons comprendre dans la chair. Dieu nous a unis, alors que nous étions à 8 000 kilomètres l'un de l'autre, nous donnant le même rêve. C'est tellement plus qu'une coïncidence. Dieu m'a demandé de raconter ce rêve dans une lettre, et j'avais presque négligé sa douce voix.
Aujourd'hui, mon frère Jürgen est sauvé, pourtant c'est un homme brisé. Sa santé l'a quitté et ses capacités mentales ont pratiquement disparu. Il vit dans un centre spécialisé. Mais bientôt, peut-être quand vous lirez cette histoire, il sera face à face avec le Seigneur que nous aspirons tous les deux à voir.
Je suis si heureux.
Pour conclure, j'aimerais ajouter trois choses par rapport à vos « bien-aimés inconvertis ». Il faut absolument que vous vous rappeliez de ces trois choses lorsque vous vous surprenez à penser : « Cela ne se produira jamais ». Trois choses qu'il faut absolument que vous mettiez dans votre tête lorsque vous êtes épuisé, découragé et désespéré. Ces trois points peuvent faire toute la différence pour leur Salut éternel.
Un extrait de l'autobiographie de Reinhard Bonnke « Une vie en Feu »