Le geste du Royaume

Un texte de Micaël Razzano

Dieu nous appelle à être des signes de son Royaume dans ce monde et à le manifester par nos gestes, nos paroles, notre engagement.

1 Six jours avant la Pâque, Jésus arriva à Béthanie, où était Lazare, qu'il avait ressuscité des morts. 2 Là, on lui fit un souper; Marthe servait, et Lazare était un de ceux qui se trouvaient à table avec lui. Lire la suite

Une fois de plus Marie, la soeur de Lazare et de Marthe, dérange. Son attitude et ses gestes surprennent. Marthe s'était déjà plaint auprès de Jésus quand sa soeur était restée à écouter le Maître au lieu de l'aider à recevoir les invités comme le voulait la coutume (Lc 10 : 38-42). Ici, c'est son geste qui dérange. En répandant ce parfum de grand prix, Judas lui reproche de gaspiller l'argent qu'on aurait pu donner aux pauvres (5). Ainsi, chaque fois qu'on la rencontre dans le récit biblique, Marie déroute, agace et attire la critique. En même temps, on peut comprendre les arguments de ses détracteurs. Après tout, n'est-il pas légitime que Marthe se plaigne de la passivité de sa soeur ? N'est-il pas normal de s'indigner comme Judas l'a fait, d'un gaspillage quand des pauvres frappent à la porte ? N'aurions-nous pas réagi de même ? Pourtant si Jésus prend toujours la défense de Marie c'est parce qu'elle a su, à chaque fois, discerner la vraie priorité du Royaume de Dieu.

La priorité du Royaume n'est pas toujours celle que nous pensons. L'évangile de la grâce remet en question nos manières de penser, notre vision du monde, nos convenances. Par son attitude, Marie vit quelque chose du Royaume de Dieu que les autres ignorent. Ses dispositions intérieures la pousse à faire les bons choix, à discerner les vraies priorités, à avoir les gestes du Royaume de Dieu. Car c'est dans son coeur d'abord que tout se joue. Comment Marie parvient-elle à saisir la volonté du Seigneur, à discerner la vraie priorité du Royaume ?

L'attitude du coeur

C'est sur les pieds de Jésus que Marie verse son parfum. Or ce n'est pas la première fois qu'elle se tient aux pieds du Maître. Déjà quand sa soeur se plaint de son inactivité, l'évangéliste Luc précise que c'est assise aux pieds de Jésus qu'elle écoute (Lc 10 : 39). Mais c'est aussi le cas au moment de la mort de son frère Lazare, juste avant notre récit. Marie va à la rencontre de Jésus et là elle se jette à ses pieds (Jn 11 : 32). Quand par la suite elle verse le parfum de grand prix, non seulement elle se tient aux pieds du Maître mais elle les essuie avec ses cheveux. Ce geste surprenant renvoie à celui réservé habituellement à l'esclave qui lavait les pieds des convives. Il arrivait aussi qu'on s'essuie les mains avec les cheveux des esclaves. L'attitude de Marie aux pieds de Jésus, est donc celle de l'humilité. Par son geste, Marie montre qu'elle est prête à servir son Maître. Sa position aux pieds de Jésus révèle l'attitude de son coeur faite de respect, de soumission mais aussi de consécration au Seigneur.

Cette attitude tranche avec celle de Judas qui se pose en juge. Pourtant, Judas fait partie des Douze. On aurait pu s'attendre à une autre attitude de la part d'un disciple de Jésus ! Mais justement, n'est-ce pas parce qu'il fait partie des personnes choisies par Jésus que Judas pense avoir des droits et en particulier celui de juger, de critiquer ? A la différence de Marie qui donne sans compter, Judas calcule. C'est d'ailleurs lui qui donne le prix du parfum : 300 pièces d'argent (5). C'est vrai, Judas s'occupe des finances parmi les disciples. Non seulement il fait partie des Douze mais il en est l'intendant. En critiquant la mauvaise gestion d'un bien matériel, il ne fait donc que son travail. On peut même se demander s'il ne cherche pas à faire la leçon à Jésus : comment lui, le Maître, a-t-il pu ainsi accepter le geste de Marie sans rien dire alors qu'il sait pertinemment que des opprimés se tiennent tous les jours à la porte ? Sous une apparence de sagesse, les reproches de Judas cachent mal en réalité ses mauvaises motivations car Judas est un voleur nous dit Jean qui ne se préoccupe pas tant des pauvres mais bien plutôt de lui-même (6). Contrairement à Marie, son attitude n'est nullement désintéressée puisqu'il va jusqu'à se servir dans la caisse dont il a la responsabilité.

Dans sa réponse, Jésus rattache le geste de Marie à sa propre mise au tombeau. Il y voit une anticipation de ce qui va se dérouler pour le salut des hommes (7). Ce geste de Marie est prophétique car il annonce la mort prochaine du Christ. En se donnant à la croix pour nous, Jésus, lui non plus, n'a pas regardé à la dépense. Si on s'en tient au raisonnement de Judas, la croix pourrait nous apparaître comme un immense gâchis. N'est-ce pas d'ailleurs ainsi que l'ont vécue sur le moment les disciples (Luc 24 : 21) ? Pourtant, il fallait bien que Jésus donne sa vie pour nous sauver. Répandu comme ce parfum de grand prix, Jésus s'est livré en sacrifice à la croix du calvaire, pas en partie seulement, mais totalement et jusqu'au bout. A notre tour, il nous invite à nous donner entièrement à lui par amour pour lui. C'est ce que nous pouvons lire un peu plus loin dans le même chapitre 12 de Jean quand Jésus déclare :

24 En vérité, en vérité, je vous le dis, si le grain de blé qui est tombé en terre ne meurt, il reste seul; mais, s'il meurt, il porte beaucoup de fruit. 25 Celui qui aime sa vie la perdra, et celui qui hait sa vie dans ce monde la conservera pour la vie éternelle.

Le don de soi

Le geste de Marie a d'ailleurs beaucoup à nous dire sur la manière dont nous pouvons nous aussi nous donner au Seigneur. S'il remet en question l'ordre établi c'est parce qu'il n'a pas pour repères les critères du monde mais ceux du Royaume de Dieu. Qu'est-ce que le geste de Marie exprime de si différent ?

En répandant ce parfum de grand prix, Marie exprime par un acte symbolique son immense reconnaissance au Seigneur, sûrement pour la résurrection de son frère Lazare qui vient d'avoir lieu. La vie de son frère n'a pas de prix. Son geste est là pour le dire. Marie garde un coeur reconnaissant, elle ne s'habitue pas aux bienfaits de Dieu. C'est en ce sens que son geste est révolutionnaire. Ce qui nous caractérise bien souvent c'est l'ingratitude (2 Tm 3 : 2). Ne nous habituons pas aux bienfaits de Dieu : son salut, sa Parole, l'assurance de la vie éternelle, l'Esprit-Saint, la communion fraternelle etc. Gardons dans notre coeur cette attitude de reconnaissance qu'avait Marie chaque fois que nous ouvrons sa Parole pour la lire. Exprimons au Seigneur notre profonde reconnaissance pour tout ce qu'il nous donne dans la vie de tous les jours et qui peut nous paraître comme allant de soit : famille, logement, travail, nourriture, santé, vie d'église...

Mais par son geste, Marie exprime aussi au Seigneur son profond attachement, son amour pour Jésus. C'est ce que Judas n'a pas vu. Judas n'a vu qu'un gaspillage, là où Jésus a vu un témoignage d'amour et de consécration. Cet amour, Marie l'exprime par un don qui lui coûte. 300 pièces d'argent, c'est une somme considérable ! Cela correspond à une année de salaire pour l'époque. « Quand on aime on ne compte pas », dit l'adage. C'est vrai pour Marie ici. En répandant ce parfum de grand prix, Marie sacrifie un bien précieux. Elle ne donne pas au Seigneur ce qui lui reste. Non! Elle lui donne ce qu'elle a de meilleur. Mais elle le fait de manière désintéressée sans chercher à savoir si l'expression de sa reconnaissance sera rentable.

Même si nous n'avons pas de parfum à répandre sur les pieds du Maître, nous pouvons lui manifester notre amour de bien des manières. Mais attendons-nous à quelques sacrifices ! Passer du temps par exemple aux pieds du Maître pour écouter sa Parole, se plonger dans un texte millénaire, à une époque où seules comptent la nouveauté et la rentabilité, tout cela peut apparaître comme un gâchis, une perte de temps. Or « le temps c'est de l'argent », dit-on. Mais ce temps passé à l'écoute du Maître dans une attitude intérieure de consécration, d'humilité et de respect sera, comme ce parfum versé par Marie, en bénédiction aussi à ceux qui nous entourent.

Car c'est là une autre conséquence du geste de Marie. En répandant ce parfum, elle en fait profiter toutes les personnes de la maison. L'évangéliste Jean prend soin de préciser que « toute la maison fut remplie de l'odeur de ce parfum » (3). Pas seulement la pièce où se trouvaient Jésus et Marie, mais toute la maison ! Avec cette précision l'évangéliste souligne l'impact positif du geste de Marie sur son entourage. Le don qu'elle fait au Seigneur ne sert pas seulement à lui exprimer sa reconnaissance et son amour, il sert aussi aux autres, même à ceux qui n'ont pas vu son geste parce qu'ils se trouvaient dans un autre endroit. N'en va-t-il pas de même de notre engagement pour Dieu ? Quelque soit son expression, s'il est accompli dans un esprit de service, de consécration, avec joie et amour pour le Seigneur, Dieu s'en servira pour le bien de notre prochain. Peut-être soulèvera-t-il des oppositions comme ici, mais il sera toujours en bénédiction aux autres, auprès comme au loin.

Alors Marie ou Judas ? Ce récit met en scène deux attitudes opposées. Nous nous retrouvons facilement dans celle de Judas qui correspond sans doute davantage à notre nature humaine avec son souci de rentabilité, avec ses fausses justifications qui cachent mal des intérêts personnels. Celle de Marie en revanche désarçonne car elle répond aux critères du Royaume de Dieu qui nous parle d'un don gratuit et désintéressé. Ce récit nous invite à résister à la tendance humaine et finalement égocentrique de Judas pour choisir résolument celle de Marie. Dieu nous appelle à être des signes de son Royaume dans ce monde et à le manifester par nos gestes, nos paroles, notre engagement.
 

Photo de Micaël Razzano
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