Ma première guérison intérieure
J'avais le meilleur père qu'une petite fille ait jamais eu. Pour moi, mon père ne se trompait jamais. Il était mon idéal.
Jamais il ne m'avait donné de fessée, il n'avait pas besoin de le faire. Il lui suffisait de me regarder d'une certaine manière. Ma mère n'hésitait pas à me punir, quand je le méritais. Mais papa me punissait par le simple fait de me montrer que je l'avais blessé - et c'était beaucoup plus fort que toutes les fessées de ma mère.
Quand j'étais petite, j'avais terriblement mal aux oreilles. Maman mettait de l'huile sur mes oreilles, et utilisait toutes sortes de remèdes. Mais le plus grand remède était quand papa restait à la maison, me prenait sur ses genoux, quand il s'asseyait sur le fauteuil à bascule, et que je posais l'oreille qui me faisait mal sur son épaule.
Mon père, Joe Kuhlman, était maire de la petite ville de Concorde, dans le Missouri. Il avait été paysan, mais il avait plus tard déménagé en ville, et c'est là que je suis née, troisième fille d'une famille de quatre enfants.
Je suis née de nouveau à l'âge de quatorze ans dans une église méthodiste (l'église de maman), et je me suis fait baptiser à l'église baptiste (l'église de papa). Deux ans après cela, je reçus l'appel pour prêcher. Mes premières expériences à ce sujet furent à Idaho. J'allais de village en village, en ayant parfois besoin de faire de l'auto stop. Je trouvais un bâtiment vide, j'annonçais la réunion, j'y installais des bancs, et les gens venaient - par simple curiosité de voir prêcher une adolescente aux cheveux roux. Si je trouvais une église abandonnée, je demandais aux voisins à qui elle appartenait, puis je demandais la permission d'y tenir des réunions.
Généralement, mon auditoire était composé d'une poignée de paysans, qui me laissaient utiliser l'église pour l'unique raison qu'ils ne pouvaient pas engager de prédicateurs. Je dormais souvent dans les chambres d'amis qu'on m'offrait, ou je cherchais par moi-même une petite chambre à louer. Il m'arrivait parfois de dormir dans un poulailler, quand je donnais des réunions la nuit dans une église abandonnée située à l'intersection d'un petit village de campagne. Mais j'étais remplie d'enthousiasme, et je sentais que je pouvais affronter le monde pour Dieu.
Mon seul regret était que mon père ne m'avait jamais entendue prêcher. Je languissais après le jour où il serait dans la salle pour voir sa fille derrière la chaire. Cela aurait été un grand jour pour moi.
Cela m'a pris toute une année pour pouvoir rentrer à la maison; le voyage était cher, et j'avais besoin de chaque sou pour acheter des cartes de visite et mettre des annonces dans les journaux. Je passai cependant quelques moments merveilleux avec mes parents et ma plus jeune soeur qui vivait encore à la maison.
Puis, je dus repartir encore. En décembre, j'étais au Colorado. C'était mon second Noël loin des miens, mais des invitations à prêcher étaient arrivées, et je ne pouvais pas m'arrêter. Mes premières réunions eurent lieu dans un dépôt vide, à la rue Champa, et je m'étais arrangée avec la compagnie de bois, afin qu'elle nous fournisse le matériel pour les bancs. Mme Holmquist, propriétaire de l'hôtel St Francis, me loua la chambre 416 pour 4$ la semaine.
Le premier mardi après Noël, le téléphone sonna à 16h30. Je reconnus, au bout du fil, la voix d'une vieille amie de chez moi. « Kathryn, ton père a été blessé. Il a eu un accident ».
« Blessé ? Est-ce grave ? »
« Oui », répondit-elle.
« Dis à papa que j'arrive tout de suite. Je rentre à la maison ».
J'avais acheté une vieille Ford V-8. Je mis quelques affaires dans le coffre et démarrai. Dieu seul sait à quelle vitesse je roulai sur ces routes gelées, mais je n'avais qu'une pensée en tête : mon père. Papa m'attendait. Papa savait que j'allais revenir. Le temps s'aggrava, alors que je quittais le Colorado pour le Kansas. La route était recouverte de glace, et la neige s'amoncelait, mais je ne pouvais pas m'arrêter, ni pour me reposer, ni pour manger. À cent cinquante kilomètres de Kansas City, je m'arrêtai à un téléphone public, au bord de l'autoroute déserte, pour appeler chez moi. Ma tante Belle décrocha.
Je lui dis : « C'est moi. Dis à papa que je suis presque à la maison »
« Mais Kathryn, répondit ma tante d' une voix bouleversée, ils ne t'ont rien dit ? »
« Me dire quoi ? »demandai-je. Je sentais mon coeur sortir de ma poitrine.
« Ton père est mort dans un accident de voiture. Il a été renversé par un étudiant qui rentrait pour les vacances. Il est mort presque sur le coup. »
J'étais stupéfiée. J'essayais de crier, mais aucun son ne sortait de moi. Mes dents claquaient fortement et mes mains tremblaient, alors que je me tenais là, dans ce téléphone, entourée de ce tourbillon de neige. Je peux seulement me souvenir du vent gelant les larmes qui coulaient sur mes joues, alors que je regagnais ma voiture, et que je réfléchissais sur mon retour à la maison. Je dois y aller, pensais-je, peut-être que ce n'est pas vrai. Les cent kilomètres suivants furent un cauchemar. Le gel faisait briller l'autoroute, il n'y avait pas d'autres voitures que la mienne. La nuit tomba, et mes phares se reflétaient sur moi par une lumière aveuglante. Je pleurais, essayant de garder la voiture sur la route gelée. Papa ne peut pas être mort. C'est juste un mauvais rêve. Je dois l'ignorer, et tout ira bien.
Mais ça n'allait pas mieux. Quand je suis arrivée chez moi, le corps de mon père était dans un cercueil ouvert, dans l'entrée de notre grande maison. Je me rendis dans une chambre à l'étage, refusant de descendre et de le voir. Je pouvais entendre les pas des autres et les chuchotements tout autour de la maison. J'avais peur de descendre, de voir le corps de mon père là, et d'affronter la réalité. Je sentais que, si je réalisais que tout cela était vrai, ma vie entière prendrait fin.
J'étais aussi agitée par un autre sentiment, la haine. Cela surgissait de moi contre tous ceux qui entraient, et j'en voulais terriblement au jeune homme qui avait enlevé la vie à mon père. J'avais toujours été si joyeuse. Papa m'avait rendue joyeuse. Mais il était parti, et à sa place se levaient de sombres sentiments de peur et de haine.
Puis, vint le jour des funérailles. Assise sur les rangs de la petite église baptiste, je refusais encore d'admettre la mort de mon père. Il ne pouvait pas être mort. Lui, si rempli d'amour pour son « bébé », si tendre et si gentil, il ne pouvait pas être mort.
Après le sermon, les personnes présentes quittèrent leurs rangées pour se diriger vers le cercueil et y jeter un dernier regard. Puis, elles s'en allèrent; seuls restèrent la famille et les dirigeants Un par un, les membres de la famille allèrent en file indienne devant le cercueil. Je restais seule sur le banc. Le dirigeant de l'enterrement s'approcha et me dit: « Kathryn, voulez-vous voir votre père, avant que je ne ferme le cercueil ? »
Soudain, je me mis debout, les yeux baissés. Je ne regardais pas le visage de papa, mais son épaule - cette épaule sur laquelle j'aimais tant mettre ma tête. Je me souvenais de la dernière conversation que nous avions eue. C'était dans le jardin de derrière, l'été dernier. Il était debout près de l'étendoir à vêtements, et passait sa main sur le fil. « Bébé, dit-il, souviens-toi, quand tu étais petite, combien tu aimais poser ta tête sur mes épaules et me dire : 'Papa, donne-moi une pièce de cinq cents'. »
J'acquiesçais. « Et tu le faisais à chaque fois, parce que c'est ce que tu voulais. Mais, bébé, tu aurais pu me demander mon dernier dollar, je te l'aurais donné. »
Je me penchai sur le cercueil, et posai doucement ma main sur son épaule. Comme je le faisais, quelque chose se passa. Tout ce que mes doigts caressaient était un simple costume. Pas seulement le manteau noir, mais tout ce qui était dans le cercueil, tout cela était quelque chose de vide. Papa n'était pas là.
Même si je prêchais déjà depuis un an et demi, c'était la première fois que la puissance de Christ ressuscité venait en moi. Soudain, j'ai cessé d'avoir peur de la mort. Et, en même temps que ma peur disparaissait, ma haine s'en allait. C'était ma première expérience de guérison. Papa n'était pas mort, il était vivant. Il n'y avait plus de raison d'avoir peur et de haïr. De nombreuses fois, je me suis rendue au cimetière de Concorde, où le corps de mon père avait été déposé. Il n'y a pas eu de larmes. Il n'y a pas eu de douleur. Il n'y a pas eu de déchirement au coeur, car ce matin-là dans l'église, j'avais expérimenté ce que Paul disait : « Ne plus être dans ce corps, c'est être auprès du Seigneur ».
Et cela fait déjà plusieurs années. Depuis, je peux parler du tombeau vide, et partager mon espoir avec d'innombrables autres personnes. Il y a eu des sommets atteints au travers de toutes mes années de travail, des opportunités pour voyager, d'autres opportunités pour mon ministère et pour prêcher. Mais, vous savez, je n'ai pas grandi alors que je me trouvais au sommet des montagnes, mais plutôt quand je me trouvais au creux des vallées.
Cela a été ma première vallée, la plus profonde, celle qui signifiait le plus pour moi. Quand aujourd'hui je marche dans les coulisses, après avoir affronté, pendant des heures, des maladies, des déformations et des besoins de tout genre, je me dirige vers les vestiaires, et soudain, à ce moment, j'ai un sentiment étrange. Je sens que papa est là. Il ne m'a jamais entendue prêcher quand il était ici, mais je suis persuadée qu'il sait que sa fille essaye de faire de son mieux pour le Seigneur. Et il sait que maintenant je mets constamment ma tête sur les épaules de mon Père céleste, et que je peux réclamer toutes les bénédictions célestes en Jésus-Christ.