Tu aimeras ton prochain

Un texte de Charles Spurgeon

Très souvent, le Sauveur prenait pour texte de ses discours les préceptes de la loi morale. Plusieurs de ses sermons - (et quels sermons pourraient se comparer aux siens?) - ne contiennent absolument rien de cet assemblage de vérités capitales, que de nos jours l'on désigne communément sous le nom « d'évangile ».

19 honore ton père et ta mère; et : tu aimeras ton prochain comme toi-même.

Chaque fois qu'il se levait pour prêcher à la multitude, il ne revenait point sur les doctrines de l'élection, de l'expiation, du salut gratuit, ou de la persévérance finale. Non, il parlait tout aussi fréquemment des grands devoirs de la vie humaine, de ces précieux fruits de l'Esprit, que la grâce de Dieu peut nous faire produire.

Ce que j'avance là vous étonne peut-être, mes chers auditeurs; mais relisez avec attention les quatre évangiles, et jugez vous-mêmes si je hasarde trop en affirmant qu'une très-grande partie du ministère de notre Sauveur fut employée à dire clairement aux hommes comment ils devaient se conduire les uns envers les autres. Il est même tel discours de Jésus, qui, fût-il prononcé aujourd'hui pour la première fois, risquerait fort de ne point être classé par certains critiques de notre époque au nombre des discours « pleins de saveur et d'onction » : non pas toutefois qu'aucune parole de Jésus manque de saveur; mais on comprend que sa morale sévère ne convienne que médiocrement à ce christianisme fade et sentimental qui n'embrasse la religion que par son côté abstrait, et fait bon marché de son côté pratique.

Mes biens-aimés, à l'exemple de leur Maître, les ministres de l'évangile sont tenus d'avertir les hommes de leurs devoirs, non moins que de proclamer le salut qui est en Christ. S'ils négligent de prêcher le devoir, je ne pense pas que le Seigneur leur accorde jamais la grâce d'amener des âmes à reconnaître la suprême beauté de la doctrine de l'expiation; et, s'ils ne font jamais retentir aux oreilles de leurs auditeurs les tonnerres de la loi, réclamant pour leur Maître l'obéissance qui lui est due, je doute qu'ils puissent parvenir à convaincre les hommes de leur état de péché - du moins de cette conviction profonde et sérieuse qui mène à la conversion.

Je sais d'avance que mon discours aujourd'hui sera condamné, comme manquant de saveur et de vie, par ceux d'entre vous qui voudraient que le prédicateur tournât éternellement dans le même cercle de doctrines; mais peu m'importe. Ce méchant monde a quelquefois besoin d'être repris, et, quand l'occasion s'en présente, nous ne devons pas lui épargner les censures. D'ailleurs, si jamais il y eut un temps où le ministre de l'évangile ait eu besoin de rappeler le précepte contenu dans mon texte, sans contredit ce temps est bien le nôtre.

A quelle époque en effet , a-t-on plus souvent oublié, plus rarement pratiqué cette parole de Jésus-Christ : Tu aimeras ton prochain comme toi-même ? Nous examinerons, en premier lieu, LE COMMANDEMENT POSITIF que nous donne mon texte. Puis, j'essaierai de vous indiquer QUELQUES–UNS DES MOTIFS QUI DOIVENT VOUS PORTER A Y OBEIR; enfin, je terminerai en appelant votre attention sur QUELQUES IMPORTANTES VERITES QUI RESSORTENT DE MON TEXTE.

Chapitre 1

Avant tout, occupons-nous DU COMMANDEMENT. Jésus-Christ l'a appelé, vous le savez, le second commandement. " Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme, de toute ta pensée et de toute ta force," ce qui revient à dire: " Tu aimeras ton Dieu plus que toi-même," - voilà le premier commandement.

Et voici le second dont les exigences sont, à la vérité, un peu moindres, mais qui n'en est pas moins d'une prodigieuse élévation : " Tu aimeras ton prochain comme toi-même. " Et d'abord, qui dois-je aimer ? - Mon prochain. - Par le mot prochain, nous devons entendre premièrement toute personne qui vit près de nous, et par extension, tout membre, quel qu'il soit, de la grande famille humaine. Dans son sens propre, ce mot signifie voisin ou proche, en sorte que celui-là est essentiellement mon prochain qui vit, demeure ou se trouve près de moi. Ainsi, par exemple, le pauvre blessé, gisant à demi mort sur le chemin de Jéricho, était le prochain du bon Samaritain, et avait droit à sa compassion, par le seul fait qu'il se trouvait sur sa route.

Aime donc ton prochain, ô mon frère. Peut-être est-il riche, tandis que tu es pauvre. Peut-être son habitation seigneuriale s'élève-t-elle à côté de ton humble chaumière. Tu vois ses vastes domaines, son fin lin, ses habits magnifiques. Le même Dieu qui lui a donné ces biens a jugé bon de te les refuser; c'est pourquoi ne convoite pas ses richesses, et ne nourris dans ton coeur aucune pensée amère à son égard.

Quoi qu'on dise et quoi qu'on fasse, il y aura toujours inégalité de fortune parmi les hommes : soumets-toi donc sans murmures à cette loi de la société. Sois content de ton sort, si tu ne peux l'améliorer; surtout, ne regarde pas ton prochain d'un oeil d'envie; ne souhaite pas le voir réduit, comme toi, à la pauvreté. Et, si des gens sans principes ni conscience cherchaient à lui ravir ses biens, fût-ce même à ton profit, garde-toi de les aider ou de les soutenir en aucune manière. Aime ton prochain, et alors tu ne saurais lui porter envie.

Et toi, riche de ce monde, ne méprise point ton voisin, parce qu'il est d'une condition autre que la tienne. Peut-être auprès de toi vit un pauvre : ne rougis point de l'appeler ton prochain; ne rougis point de reconnaître que tout pauvre qu'il est, il a droit à ton amour. Le monde l'appelle ton inférieur, mais, je te prie, en quoi consiste cette infériorité ? S'il n'est pas ton égal en position, il l'est en réalité. Dieu a fait naître d'un seul sang tout le genre humain.

26 Mais nous devons échouer sur une île.

Ne te persuade donc pas que tu vailles plus que lui. Il est homme, et toi, qu'es-tu de plus? Il peut être un homme en haillons, mais un homme en haillons est toujours un homme, c'est-à-dire un être créé à l'image de Dieu; et quand même tu serais un homme vêtu de pourpre, encore ne serait-tu, après tout, qu'un homme.

Ne manque donc pas d'aimer ton prochain, ô mon frère, quelle que soit sa pauvreté, et garde-toi de le mépriser, fût-t-il même tombé au dernier degré de l'échelle sociale. Aime aussi ton prochain, quelles que puissent être ses convictions religieuses. Tu crois que la fraction de l'Eglise à laquelle tu appartiens est la plus près de la vérité, et tu ne doutes ni de ton salut ni de celui de tes amis qui pensent comme toi. Ton prochain, lui, pense différemment. Sa religion, selon toi, est erronée et mensongère; aime-le malgré cela. Que les divergences qui séparent vos opinions ne séparent point vos coeurs. Peut-être a-t-il tort, peut-être a-t-il raison, je ne prétends point décider entre vous; quoi qu'il en soit, je sais une chose, c'est que celui-là pratique le mieux l'Evangile qui aime le plus son prochain. Mais il se peut que tu aies affaire à un homme qui n'ait pas de religion du tout. Il insulte Dieu, il viole ses sabbats, il est sceptique, et il s'en fait gloire. N'importe; tu dois l'aimer. Des paroles hautaines ne pourraient que l'éloigner davantage de la pitié; une conduite dure à son égard ne le disposerait pas à devenir chrétien. Aime-le, malgré son impiété. Aussi bien, son péché n'est pas contre toi; il est contre ton Dieu.

Or, ce Dieu, tu le sais, se charge lui-même de tirer vengeance des péchés commis contre lui. Laisse donc ton prochain entre les mains du juste Juge; mais en attendant, si tu peux lui rendre service, lui témoigner de l'intérêt ou de la bienveillance, fais-le sans hésiter, fais-le de nuit ou de jour. Et, si tu établis quelque distinction entre lui et un autre, qu'elle soit plutôt en sa faveur qu'à son préjudice. Que ta conduite tout entière lui dise clairement : " Parce que tu n'es pas de ma religion, parce que mon Dieu n'est pas ton Dieu, je veux chercher d'autant plus à t'être agréable, afin de te gagner, si je le puis, à la bonne cause. Quoique tu sois un Samaritain hérétique et moi un Israélite orthodoxe, je te considère pourtant comme mon prochain, et je veux t'aimer, dans l'espérance que bientôt tu ne monteras plus à ton faux temple de Garizim, mais que tu viendras adorer Dieu avec moi dans son sanctuaire de Jérusalem. "

Oui, mon cher auditeur, aime ton prochain, je le répète, quoique sa religion soit autre que la tienne. Tu dois l'aimer également, quoiqu'il te fasse concurrence et que ses intérêts soient opposés aux tiens. C'est là une maxime qu'il serait difficile, je le sais, d'introduire à la Bourse ou dans les affaires; néanmoins, c'est une maxime, industriels et commerçants, qu'il est de mon devoir de vous faire entendre.

Un jeune homme vient peut-être de se lancer dans une entreprise, et vous craignez que, s'il réussit, il ne vous cause du dommage. Gardez-vous de lui désirer du mal. Gardez-vous surtout de rien faire ou de rien dire, qui puisse porter atteinte à son honneur ou à son crédit. Votre devoir est de l'aimer; car, bien qu'il soit votre compétiteur en affaires, il n'en est pas moins votre prochain.

Peut-être aussi un de vos confrères est-il votre débiteur. Si vous exigez le paiement de sa dette, vous le ruinez du coup; si, au contraire, vous lui laissez la somme qu'il a entre ses mains, il pourra faire face à l'orage et sortir heureusement de la crise qu'il traverse. Quel est votre devoir envers lui ? Vous devez l'aimer comme vous vous aimez vous-mêmes et agir à son égard comme vous voudriez qu'on agît au vôtre, fussiez-vous placé dans les mêmes circonstances.

Quel que soit celui avec lequel tu entretiens des relations commerciales, souviens-toi donc, ô homme, qu'il est ton prochain. Quel que soit celui avec lequel tu trafiques, qu'il soit plus grand ou plus petit que toi, il est ton prochain, et la loi chrétienne te commande d'avoir de l'affection pour lui. Elle ne t'exhorte pas simplement à ne le point haïr, elle t'ordonne de l'aimer; et, quand même il entraverait tes projets, quand même il t'empêcherait d'acquérir des richesses, quand même il t'enlèverait ta clientèle, ton crédit, ou, ce qui est mille fois pire, ta réputation - encore serais-tu obligé de l'aimer comme toi-même. Cette loi n'admet point d'exception : Tu aimeras ton prochain. Tu dois encore aimer ton prochain, ô mon frère, quoiqu'il t'afflige par son péché.

Souvent, n'est-il pas vrai ? nos esprits se soulèvent, nos coeurs se serrent au dedans de nous, en voyant les iniquités qui s'accomplissent dans les rues de nos grandes villes. Nous voudrions pouvoir mettre au ban de la société, comme des malédictions vivantes, le pêcheur scandaleux, le débauché, la femme de mauvaise vie..... Ce sentiment n'est pas bon, il n'est pas chrétien. Nous devons aimer les plus grands pécheurs, et loin d'en bannir aucun de la douce région de l'espérance, nous devons faire tous nos efforts pour les ramener au bien. Mon prochain est-il un brigand, un menteur, un scélérat ?

Evidemment, je ne puis aimer sa scélératesse, autrement je serais un scélérat moi-même. Je ne puis aimer son mensonge, autrement je serais moi-même un homme faux. Néanmoins, je suis tenu de l'aimer, lui, personnellement, et, s'il m'a fait du mal, je ne dois nourrir à son égard aucun désir de vengeance, aucune pensée de ressentiment, mais, comme je souhaite que Dieu me pardonne, ainsi dois-je lui pardonner.

Bien plus : si, ayant violé les lois du pays, mon prochain doit subir la peine de son forfait - ( et il est de toute justice qu'il le fasse ) - je dois l'aimer jusque dans son châtiment. Magistrat, tu dois le condamner, non point dans un esprit de haine ou de colère, mais pour son bien, et avec l'espoir que sa punition le conduira au repentir. Tu dois le punir de la manière et dans la mesure qui te paraissent les plus propres, non à expier son crime, mais à lui en faire sentir l'odieux, et à le porter à ne plus le commettre. Mais condamne-le, je t'en supplie, les yeux humides, avec regret, avec compassion; condamne-le en l'aimant encore. Et, quand il est jeté dans un cachot, veille à ce que ses geôliers ne lui fassent pas subir de traitements inhumains, car souvient-toi que, si la fermeté et la sévérité sont indispensables dans la discipline des prisons, il ne faut pas qu'elles soient excessives, de peur qu'elles ne dégénèrent en cruauté, et qu'au lieu d'être utiles, elles ne deviennent criminelles.

Oui, je dois aimer mon semblable, alors même qu'il est enfoncé dans la boue et dégradé par le vice! Le commandement ne me laisse aucun échappatoire : il réclame mon amour en faveur de mon prochain, quel qu'il soit. Sans doute, je ne suis point tenu de le recevoir dans ma maison, ni de le traiter comme un membre de ma famille. Il y a tel acte de bonté qui serait un acte d'imprudence, car en l'accomplissant, je pourrais causer la ruine de coeurs honnêtes et récompenser le vice. Il est des cas où la justice exige que je me pose en adversaire déclaré de mon prochain, mais dans ces cas mêmes la charité veut que mon coeur ne lui soit point fermé; car, si grande que soit son indignité, il est mon semblable, il est mon frère; et, quoique le démon ait souillé son front de fange, quoiqu'il ait fait rejaillir son venin jusque dans son âme, tellement que,lorsqu'il parle, sa bouche vomit des blasphèmes, et lorsqu'il court, ses pieds sont légers pour répandre le sang, cependant le Créateur l'a revêtu, comme moi, de la dignité d'homme. Or, en tant qu'homme, il est mon frère, et en cette qualité, il a droit à mon affection.

Si donc, en me baissant vers lui, je puis espérer le relever en quelque mesure, et réveiller dans son âme ne fût-ce qu'une faible lueur de dignité morale, je pèche si je ne le fait point, car le Seigneur m'ordonne de l'aimer comme je m'aime moi-même.

Oh ! plût à Dieu que ce grand principe fût pleinement mis en pratique! Plût à Dieu que du moins ceux qui m'écoutent en ce moment le prennent pour règle de leur conduite! Mais je vous le demande, mes chers auditeurs, en est-il ainsi ? Non, vous n'aimez pas votre prochain - vous savez que vous ne l'aimez pas! C'est à peine si vous aimez les personnes qui viennent tous les dimanches invoquer le Seigneur avec vous dans le même lieu de culte : comment pourriez-vous songer à aimer ceux qui ne partagent pas vos croyances ? Que dis-je ? C'est à peine ( ô humiliant aveu ! ) c'est à peine si vous aimez ceux qui vous sont unis par les liens du sang, qui ont sucé le même lait que vous, ont grandi sous le même toit, ont eu part aux mêmes tendresses.

Si donc vous n'aimez pas vos amis eux-mêmes, est-il surprenant que vous n'aimiez pas vos ennemis ? Que de familles, en effet, qui sont déchirées par des divisions intestines! Que de frères en guerre contre leurs frères, de proches contre leurs proches! Peut-être y a-t-il un homme dans cet auditoire qui, ce matin, avant de venir dans la maison de Dieu, a échangé des paroles amères avec un des siens.

Ah! mes chers auditeurs, si vous n'aimez pas ceux de votre famille, vous êtes pires que des païens et que des infidèles! Comment donc, encore une fois, pourrait-on s'attendre à ce que vous pratiquiez dans toute son étendue ce grand et solennel commandement : Tu aimeras ton prochain ?

Mais que vous le pratiquiez ou non, mon désir est de le prêcher hautement, sans ménager les oreilles susceptibles de cette génération rebelle et contredisante. Aussi, je tiens à le redire en termes aussi clairs que possible : mon texte nous impose l'obligation, d'abord, d'honorer et d'aimer tous les hommes, simplement parce qu'ils sont hommes; puis, d'aimer d'une façon particulière nos voisins, nos connaissances, toute personne, en un mot, avec laquelle nous sommes en rapport; et cela, non point à cause de sa position sociale ou en raison de ses qualités, mais simplement parce qu'elle est notre prochain, et parce que Dieu nous a dit : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Mais quoi ? est-il bien vrai que je doive AIMER mon prochain ?

Oui, je dois l'AIMER. Le mot est fort, j'en conviens, mais c'est celui dont le Sauveur a fait usage; par conséquent, on ne saurait le remplacer.

" Eh bien! " dira quelqu'un ", à tout prendre, je crois que j'obéis à ce commandement. Je ne parle de personne en termes malveillants. Je n'ai jamais nui, que je sache, à la réputation de qui que ce soit. J'évite soigneusement de faire du tort à mes voisins. Même dans les affaires d'intérêt, je veille à ce que l'esprit mercantile n'étouffe pas en moi l'esprit de charité. Je cherche à être juste et poli envers tout le monde. "

Mon cher auditeur, jusque-là, c'est très bien, mais ce n'est point assez. Il ne suffit pas que tu puisses dire : " Je ne hais point mon prochain ", il faut que tu l'aimes . Il ne suffit pas, quand tu le rencontres sur ton chemin, que tu t'abstiennes de lui courir sus, ou quand il est retiré dans sa maison pour la nuit, que tu respectes son repos.

Le commandement de mon texte n'est pas négatif : il est positif. Il nous dit, non ce qu'il ne faut pas faire, mais ce qu'il faut faire. Il va sans dire que tu ne dois nuire en aucune façon à ton prochain; mais, parce que tu as accompli cette partie de ton devoir, ne te persuade pas avoir tout fait. Tu dois l'aimer : Voilà ce que Dieu demande de toi.

" Mais ", dit un autre, " non-seulement je ne fais pas de mal à mon prochain, mais je cherche à lui faire du bien. Lorsque mes voisins sont malades, je leur donne des marques d'intérêt; s'ils sont pauvres, je leur envoie des mets de ma table, afin qu'ils mangent et qu'ils reprennent des forces ; s'ils sont dénués de toute ressources, je donne mon argent, afin qu'ils soient convenablement soignés. "

Tu fais bien, mon cher auditeur; on ne peut assurément qu'approuver ta conduite; toutefois, sache-le, tu peux donner, et pourtant ne pas aimer. Souvent, j'ai vu une aumône jetée à un malheureux, à peu près comme un os est jeté à un chien, sans un seul atome de vraie charité. J'ai vu de l'argent donné à un pauvre avec beaucoup moins de civilité qu'on n'en met d'ordinaire pour présenter du foin à un cheval. " Allons ! prenez cela, et allez-vous-en. Je suis bien fâché que vous soyez venu chez moi. Pourquoi ne vous adressez-vous pas à d'autres ? Vraiment, je ne sais où cela finira; je suis assailli par des mendiants ! " Voilà de quelles paroles la plupart des aumônes sont accompagnées; puis, on ajoute à part soi : " Il faut bien que je lui donne, je suppose, sans quoi on dirait que je suis avare! "

Oh! mes amis, je vous le demande, est-ce là aimer son prochain ? est-ce là le moyen de s'en faire aimer ? Lui eussiez-vous parlé avec bonté tout en lui refusant votre argent, il vous en aurait su plus de gré que de votre aumône donnée d'une façon si blessante.

O toi qui nourris le pauvre et qui visites le malade, non, tu n'as point obéi au commandement de mon texte, à moins que ton coeur n'ait donné l'impulsion à ta main, et que ta bienveillance soit la fidèle expression de l'intime charité de ton âme. " Tu aimeras ton prochain. "

Mais ici je prévois une interruption d'un autre genre. " Prédicateur, me dira-t-on, avec la meilleure volonté du monde, je ne puis pas aimer mon prochain. Peut-être pouvez-vous aimer le vôtre, parce qu'il est meilleur que le mien; mais les personnes, avec lesquelles j'ai affaire, ont l'esprit si mal tourné qu'en vérité on perd son temps à vouloir les aimer. J'ai souvent essayé, mais, à tous mes témoignages de bon vouloir et d'affection, elles n'ont répondu que par l'ingratitude, la froideur et l'insulte. "

Eh bien ! mon frère, ne te décourage pas; aime-les toujours, et tu n'en seras que plus héroïque. Soldat efféminé, voudrais-tu donc n'avoir rien à souffrir dans la sainte guerre de l'amour ? Sur ce terrain, sache-le, la victoire reste toujours au plus vaillant; c'est pourquoi, quelque rudes que soient tes premiers pas dans la carrière, avance hardiment, avance sans te laisser rebuter par les obstacles, avance en aimant ton prochain envers et contre tous, en l'aimant, s'il le faut, malgré lui-même. Amasse des charbons de feu sur sa tête. S'il est de sa nature difficile à contenter, ne t'en mets point en peine : cherche, non à lui plaire, mais à plaire à ton Maître. Et, si ton affection est méprisée par les hommes, souviens-toi que ton Maître, lui, ne la méprise pas, mais que tout acte de charité et de dévouement, quoique méconnu par celui qui en est l'objet, n'en est pas moins agréable à ton miséricordieux Sauveur. Tu aimeras ton prochain.

Du jour où ce commandement serait mis en pratique, toute colère, toute violence et toute animosité disparaîtraient évidemment de la terre. Qui est jamais en colère contre lui-même ? Sans doute, dans un certain sens, tout homme sage l'est quelquefois; pour ma part, j'avoue que je ferais bien peu de cas de celui qui, en présence, soit du mal qu'il sent dans son coeur, soit du mal qui se commet autour de lui, pourrait toujours conserver son sang-froid.

Mais souviens-toi, ô homme ! que tu n'as pas le droit de t'irriter contre ton frère plus que tu ne t'irrites contre toi-même. Tu es parfois indigné de ta propre conduite, et tu peux t'indigner également de la sienne, s'il commet une mauvaise action. Mais ta colère contre toi est de très courte durée, n'est-il pas vrai? Tu pardonnes bientôt, je n'en doute pas, à ta chère personne; eh bien ! tu dois, tout aussitôt, pardonner à ton prochain. Si tu lui as dit quelques paroles trop vives, va et retire-les- sur-le-champ, et, si tu n'as fait que le reprendre selon la vérité, n'ajoute rien qui pourrait augmenter sa confusion. Quand tu y es appelé, proteste hardiment contre le péché, mais fais-le avec toute la charité possible. Ne sois pas plus raide qu'il ne faut. Agis envers autrui, comme tu agirais envers-toi même. Surtout, ne conserve aucune rancune. Que le soleil ne se couche jamais sut ta colère. Ce n'est qu'à ces conditions que tu pourras aimer ton prochain, car il est absolument impossible d'obéir aux paroles de mon texte, en nourrissant dans son coeur la moindre pensée de ressentiment ou de vengeance.

Mais il y a plus. Tu es tenu d'aimer ton prochain : prends donc garde de ne pas le traiter avec indifférence. Ne le néglige pas, intéresse-toi à ce qui le concerne. Peut-être est-il triste, ou malade, ou abattu; une simple visite de ta part pourrait lui faire du bien; mais, quoiqu'il habite près de ta demeure, il ne t'envoie pas chercher, car, dit-il, "je ne veux importuner personne."

C'est donc à toi, mon cher auditeur, qu'il appartient de rechercher les douleurs de ton frère. Les personnes les plus dignes d'égards sont celles qui en sollicitent le moins. La pauvreté la plus digne de respect est celle qui ne demande pas la pitié.

N'attends pas que l'on vienne t'informer de la détresse de tes voisins, mais sois le premier à la découvrir, et, autant qu'il te sera possible, viens en aide à chacun selon ses besoins. Et, lorsque tu vas voir le pauvre dans sa demeure, ne prends pas, je t'en supplie, cet air de condescendance hautaine que revêt trop souvent la charité; vas-y, non comme si tu étais quelque créature d'un ordre supérieur qui se prépare à octroyer un bienfait, mais comme un frère qui vient s'acquitter envers son frère d'une dette, à laquelle la nature et l'Evangile lui donnent des droits sacrés. Assieds-toi à son côté, parle-lui, témoigne-lui de l'affection.

Et si tu as affaire à un homme aux sentiments fiers et élevés, agis à son égard avec beaucoup de prudence; garde-toi bien de lui donner ouvertement une aumône, mais assiste-le d'une manière détournée, de peur que tu n'affliges son esprit en voulant le soulager, et que tu ne le blesses avec la boîte même de parfum dont tu avais l'intention d'oindre sa tête. Ne lui fais pas de la peine par ta maladresse; respecte sa susceptibilité. Laisse ton offrande sans rien dire, et il oubliera bientôt ce qu'il y a de pénible à recevoir, mais il se souviendra toujours de ta bonté et de ta sympathie.

Il me serait impossible, vous le comprenez, mes chers amis, d'entrer dans tous les développements qu'exigerait le vaste sujet qui nous occupe. Je me bornerai donc à observer que l'amour du prochain réduit aussi à néant tout péché qui ressemble à la convoitise, à l'envie ou à la malveillance. Il nous dispose, en tout temps, à rendre à nos semblables toutes sortes de bons offices, à leur pardonner tout le mal qu'ils peuvent nous faire, et à consentir même à leur servir en quelque sorte de marchepied, si par là nous pouvons leur prouver que nous sommes de vrais disciples du Seigneur Jésus.

" Mais, enfin de compte ", objectera peut-être quelqu'un, " je ne vois pas que je sois tenu de toujours pardonner. Il y a, chez toute créature vivante, un irrésistible instinct qui la porte à se révolter contre celui qui l'opprime. Voyez le ver lui-même : ne se redresse-t-il pas sous le pied qui l'écrase? "

Prends-tu donc un ver pour ton modèle, mon cher auditeur? Oui, un ver se redresse, mais un chrétien supporte. Amère dérision, en vérité, de me proposer un ver pour exemple, tandis que j'ai Christ pour modèle! Christ a supporté. Quand on lui disait des outrages, il n'en rendait point. Quand on le crucifia, quand on le cloua au bois maudit, il s'écria: " Père, pardonne-leur! "

Oh! chrétien, imite ton Sauveur dans son incomparable charité. Qu'un amour invincible, un amour à toute épreuve, un amour si puissant que beaucoup d'eaux ne pourraient l'éteindre, et que les fleuves mêmes ne pourraient le noyer, qu'un tel amour habite dans ton coeur. Tu aimeras ton prochain.

7 Les grandes eaux ne peuvent éteindre l'amour, Et les fleuves ne le submergeraient pas; Quand un homme offrirait tous les biens de sa maison contre l'amour, Il ne s'attirerait que le mépris.

Maintenant, il nous reste à examiner quelle doit être la mesure de cet amour.

Plût au ciel que telle grande dame aimât son prochain autant qu'elle aime son épagneul!

Plût au ciel que certains riches propriétaires s'intéressent autant à leurs semblables qu'à leurs chevaux ou à leur meute de chiens!

Très sérieusement, mes chers amis, je crois que l'amour fraternel serait en grand progrès parmi nous, si chacun voulait consentir à accorder à ses voisins une aussi grande part dans son affection que celle qu'il accorde à un animal favori.

Mais quoi? N'est-ce pas ravaler l'amour du prochain que de le réduire à un tel niveau? Oui, sans doute, et pourtant, je le crains fort, ce niveau est bien supérieur à celui que la plupart d'entre vous lui avez donné jusqu'ici. N'est-il pas vrai que vous aimez moins vos frères que vos champs, votre maison ou votre bourse? Qu'elle est donc élevée, qu'elle est donc sublime la règle d'or de l'évangile: " tu aimeras ton prochain comme toi-même! "

Ici, une question se présente : Combien les hommes s'aiment-ils eux-même? Je réponds : Aucun, trop peu; la plupart, trop. Tu peux t'aimer autant qu'il te plaira, mon cher auditeur, mais à la condition que tu aimes ton prochain dans le même mesure. Je suis assuré qu'il n'est nullement nécessaire de t'exhorter à t'aimer toi-même. Ton bien-être, tes affaires, ta santé, forment, je n'en doute pas, le principal objet de ta sollicitude. Tu ne négligeras rien, j'en suis parfaitement sûr, pour garnir ton nid d'un moelleux duvet, afin de le rendre aussi doux que possible.

Il serait superflu, je le répète, de t'exhorter à chérir ta propre personne, tu n'a rien à apprendre à cet égard. Comme donc tu t'aimes toi-même, ainsi aime ton prochain. Et n'oublie pas que ce mot de prochain est d'une largeur infinie; n'oublie pas qu'il embrasse tous les rangs de la société, qu'il comprend même ton compétiteur, ton ennemi, celui dont tu as le plus à te plaindre.

Oh! quelle révolution radicale s'accomplirait dans le monde, si ce grand principe de l'amour fraternel avait force de loi parmi les hommes! Quel puissant levier serait cette simple parole du Sauveur : Tu aimeras ton prochain comme toi-même, pour renverser de fond en comble une foule d'abus et de préjugés qui sont passés dans nos moeurs!

Dans nos sociétés civilisées, quoi qu'on en dise, il règne un esprit de caste presque aussi tranché qu'en Hindoustan. Monseigneur regarde avec dédain quiconque n'est pas son égal en dignité, et celui qui le suit dans la hiérarchie sociale considère l'industriel et le commerçant comme des êtres d'un ordre subalterne.

Le commerçant, à son tour, regarde le travailleur comme infiniment au-dessous de lui, et il n'est pas jusqu'aux diverses catégories d'ouvriers qui ne se piquent d'une certaine supériorité les uns sur les autres.

Oh! quand donc luira le jour où ces absurdes préjugés s'écrouleront tous ensemble; où l'humanité, sentant enfin qu'un même sang circule dans ses veines, ne formera plus qu'une grande famille; où chacun aimera son frère, et où toutes les classes de la société comprendront qu'elles sont dépendantes les unes des autres!

Mais, en attendant ce jour béni, travaillons, chacun pour son propre compte, à nous pénétrer de l'esprit de mon texte, et à nous dépouiller de plus en plus de ce misérable orgueil, dont les meilleurs mêmes ne sont pas exempts.

O vous ma soeur, tout enveloppée de soie et de velours, depuis des années vous vous asseyez peut-être dans la maison de Dieu côte à côte avec une pauvre femme, vêtue, il est vrai d'un habit grossier, mais qui n'en n'est pas moins un enfant de Dieu aussi sincère que vous pouvez l'être. Lui avez-vous jamais parlé? Non, jamais. Et pourquoi cela? Voulez que je vous le dise? Parce qu'il se trouve que vous avez plus de francs à dépenser par jour qu'elle, la pauvre âme, n'a de centimes!

Et vous, c'est M. le comte, vous entrez dans le sanctuaire, la tête haute, vous attendant à ce que chacun vous témoigne le plus grand respect. En effet, vous avez droit à notre respect, car vous êtes homme; or, le même passage qui nous dit : "Honorez le roi, " nous dit aussi :

17 Honorez tout le monde; aimez les frères; craignez Dieu; honorez le roi.

Nous sommes donc tenus de nous honorer mutuellement. Mais quant à vous, tout en croyant que plus que personne vous êtes digne de la vénération publique, vous vous dispensez fort bien d'user de condescendance envers qui que ce soit. Que votre seigneurie me permette de le lui diret: elle serait bien plus grande aux yeux des autres, si elle l'était un peu moins à ses propres yeux.

Oh! que béni soit notre Père céleste, que béni soit le Seigneur Jésus de nous avoir donné ce commandement, car, je le répète, une ère de bonheur se lèvera sur le monde quand ses paroles seront accomplies à la lettre : "Tu aimeras ton prochain comme toi-même."

Chapitre 2

Maintenant, mes chers auditeurs, je désire vous indiquer QUELQUES-UNS DES MOTIFS QUI DOIVENT VOUS PORTER A OBEIR A CE COMMANDEMENT.

Le premier, le plus puissant de ces motifs est celui-ci : Nous devons aimer notre prochain, parce que Dieu nous le commande. Pour le chrétien, il n'est pas d'argument aussi fort que ces simples mots : " Dieu l'a dit." La volonté de Dieu est la loi du croyant. Il ne demande pas : " Que gagnerai-je en agissant ainsi? Que dira l'Eglise? Que dira le monde? " Il se demande simplement : " Est-ce la volonté de mon Père? "

Puis, cette question une fois résolue, il s'écrie : " O Esprit-Saint! Donne-moi d'obéir, non à cause des avantages qui peuvent résulter de mon obéissance, mais uniquement parce que tu as parlé! "

Oui, c'est le privilège, c'est la gloire du chrétien de faire la volonté de Dieu, en obéissant à la voix de sa Parole:

20 Bénissez l'Eternel, vous ses anges, Qui êtes puissants en force, et qui exécutez ses ordres, En obéissant à la voix de sa parole !

Mais je le sais, ce motif, tout-puissant pour le chrétien, est de nulle valeur pour les gens du monde.

En voici un autre, d'une nature toute différente, qui aura probablement plus de poids auprès d'eux. Nous devons aimer notre prochain dans notre propre intérêt.

Au premier abord, il faut en convenir, ceci à l'air d'un paradoxe. Ne semble-t-il pas, en effet, qu'en nous encourageant à aimer les autres, l'égoïsme se donnerait, pour ainsi dire, la mort de ses propres mains? Cependant, pour peu qu'il fût intelligent, je soutiens que l'égoïsme lui-même nous tiendrait ce langage : " Moi, aime ton prochain, car alors ton prochain t'aimera. Moi, aide ton prochain, car alors ton prochain t'aidera. Fais-toi des amis, ô Moi, avec tes richesses iniques, afin que, lorsque tu viendras à manquer, ils te reçoivent dans les tabernacles éternels (Allusion à Luc, 16 :19). Moi, tu recherches tes aises; le meilleur moyen de te procurer, c'est de bien traiter ceux avec qui tu as affaire. Moi, tu recherches le plaisir, les jouissances; tu ne pourras jouir de rien si ceux qui t'entourent te haïssent. Efforce-toi donc de te concilier leurs bonnes grâces, et ainsi, ô cher Moi, tu seras heureux."

Egoïstes! Profitez de ces sages conseils de votre maître, et puissiez-vous devenir assez logiquement, assez judicieusement égoïstes pour témoigner à votre entourage des égards et de la bonté! Le plus court chemin pour arriver au bonheur, c'est de rendre les autres heureux. Le monde est bien mauvais, mais il ne l'est pas assez pour être complètement insensible à la puissance de la bonté et de l'amour.

Maîtres, soyez bons envers vos domestiques, et, sauf quelques rares exceptions, soyez sûrs qu'ils seront bons pour vous. Serviteurs, servez vos maîtres avec affection. Il en est bon nombre, j'en conviens, qui sont durs et exigeants, mais soyez persuadés qu'ils n'en apprécient pas moins les bons services, et que, si vous avez un peu de patience, ils finiront par vous bien traiter.

Pour ma part, si je désirais obtenir la plus grande somme de bonheur possible, je ne demanderais point à la terre son luxe et ses richesses, ni aux plaisirs des sens leurs joies et leurs voluptés; toute mon ambition consisterait à me sentir entouré d'êtres aimés et aimants, et à pouvoir me dire que partout où je vais je répands l'allégresse. Oui, c'est là le vrai moyen d'être heureux soi-même.

Ainsi donc, mon cher auditeur, tu vois que ton intérêt bien entendu doit te porter à aimer les autres, car, par le fait, en les aimant, tu travailles à ton propre bonheur, tant il est vrai qu'entre ton prochain et toi il existe une si étroite solidarité que le courant d'affection, qui découle de ton coeur vers lui, refluera tôt ou tard vers toi.

Mais je ne me suis arrêté que trop longtemps à un motif aussi misérable que celui-là. Il est indigne d'un chrétien, il est indigne même de tout homme généreux!

Aimez votre prochain, vous dirai-je encore, parce que c'est le moyen de faire du bien dans le monde. Vous êtes philanthropes; vous vous intéressez à tout ce qui se fait pour soulager ou améliorer l'humanité; vous souscrivez aux sociétés de missions, aux établissements d'orphelins, et autres institutions charitables. Sans doute, toutes ces oeuvres sont excellentes. Dieu me garde de les déprécier en aucune manière!

Mais, tout excellentes qu'elles sont, je me demande souvent si elles ne nuisent pas en quelque mesure aux efforts individuels des chrétiens, et si elles n'encouragent point notre paresse naturelle, dans ce sens que nous nous croyons autorisés à nous décharger sur elles, moyennant une légère contribution, du devoir de faire du bien à nos semblables.

Encore une fois, qu'on ne se méprenne point sur le sens de mes paroles. Je ne médis nullement de nos sociétés religieuses; je vous exhorte, au contraire, à les soutenir autant qu'il vous sera possible; seulement, voici ce que je vous dis, mes biens-aimés : Si vous désirez réellement le bien de l'humanité, ne vous contentez pas d'y concourir, en quelque sorte, par procuration, mais mettez vous-mêmes la main à l'oeuvre.

N'ayez pas constamment recours à des intermédiaires pour témoigner à votre prochain que vous l'aimez. Soyez vous-mêmes les distributeurs de vos aumônes; nourrissez le pauvre, visitez le malade, habillez l'indigent, recueillez même l'orphelin dans vos maisons. De la sorte, n'en doutez pas, vous travaillerez efficacement au bien de la société.

Chers amis , souvenez-vous qu'il n'est pas de plus sûr moyen d'améliorer le monde que d'être bon soi-même. Etes-vous ministre de l'Evangile? Annoncez la vérité d'un ton bourru et grondeur, vous aurez bientôt une église où l'on haïra la religion.

Etes-vous moniteur dans une école du dimanche? Instruisez vos élèves en fronçant le sourcil, vous verrez quel profit ils retireront de vos leçons.

Etes-vous chef de famille et célébrez-vous le culte domestique? Mettez-vous en colère contre vos serviteurs; après cela, dites: "Prions Dieu:" quelle grande somme de dévotion vous développerez en eux!

Etes-vous geôlier d'une prison, et avez-vous des détenus à surveiller? Rudoyez-les, maltraitez-les, puis conduisez-leur le chapelain; comme ils seront bien préparés à recevoir la Parole de Dieu!

Vous avez des pauvres autour de vous; vous voudriez les relever, les éclairer, les moraliser. Allez de maison en maison, et tancez-les vertement sur la malpropreté de leurs demeures, sur la grossièreté de leurs goûts, sur l'état d'abaissement moral dans lequel ils sont plongés; bon moyen, en vérité, de les engager à profiter de vos conseils! Mais essayez d'un tout autre système.

Laissez là, croyez-moi, le front dur et le regard sévère; oignez votre visage de l'huile parfumée de la bienveillance, et, le sourire aux lèvres, allez vers votre prochain en lui disant : "Je vous aime. Je ne fais pas de grandes phrases sur la fraternité, mais vous pouvez compter sur moi, et, autant qu'il me sera possible, je vous prouverai mon affection. Voyons, que puis-je faire pour vous? Quel service puis-je vous rendre? Dois-je vous aider à franchir un fossé, vous secourir dans un moment difficile? Vous encourager quand vous êtes abattu? Il me semble que je pourrais m'occuper de votre petite fille, ou envoyer le médecin à votre femme qui est malade." Pratiqué sur une large échelle, un tel système de bienveillance et de bons procédés ferait plus, j'en suis convaincu, pour le relèvement moral des masses, que tout ce grand déploiement de rigueur par lequel on cherche à les contenir. Vos gibets et vos échafauds n'ont point amélioré le monde. Pendez les hommes aussi longtemps qu'il vous plaira, vous n'en serez pas plus avancés. La corde n'a jamais moralisé personne, et elle ne le fera jamais. La peine de mort n'est point une nécessité (l'auteur exprime ici son opinion personnelle, dont nous lui laissons toute la responsabilité; car quelles que puissent être, comme individus, nos sympathies pour cette opinion, nous croyons devoir, comme éditeurs, nous imposer une grande réserve sur une question aussi grave et aussi délicate que celle de la peine de mort - Note des Editeurs).

Encore une fois, traitez-le avec miséricorde, traitez-le avec amour; et, moyennant la bénédiction de Dieu, vous verrez qu'il n'est pas de loup, sous les traits d'un homme, dont le coeur ne s'amollisse à la sainte flamme de la charité; pas de tigresse, sous la forme d'une femme, qui ne soit bientôt vaincue par la voix sympathique et tendre d'une amie chrétienne.

Je vous le dis donc, mes bien-aimés, dans l'intérêt de l'humanité, aimez votre prochain. Aimez-le aussi, vous souvenant que, par votre manque d'affection, vous pouvez augmenter sa part de douleurs. Il est dans le monde bien des misères dont nous ne soupçonnons pas l'existence. Souvent, nous avons adressé de dures paroles à de pauvres âmes désolées; nous ne l'aurions point fait, si nous avions connu leurs douleurs, mais notre ignorance ne nous excuse pas, car nous aurions dû les connaître.

Te rappellerai-je, mon cher auditeur, que pas plus tard qu'hier tu as expulsé de ta maison une pauvre femme, mère de trois enfants? Cette femme, veuve et délaissée, te devait quelques semaines de loyer. La dernière fois qu'elle te paya, elle vendit la montre de son mari et son anneau de mariage : c'étaient les seuls objets qui fussent chers à son coeur; néanmoins, elle les vendit, et te paya..... Cette fois-ci, elle n'avait plus rien à vendre. Elle te pria de patienter quelques jours; tu l'as fait, et tu crois avoir agi d'une manière exemplaire en le faisant. Mais ce délai expiré, tu t'es dit: " Cette femme ne m'inspire pas une grande confiance; en tous cas, je sais qu'elle est mauvaise payeuse. Elle a trois enfants, c'est vrai, mais finalement cela ne me regarde pas. Où en seraient les propriétaires, s'ils devaient s'occuper de ces détails? Les affaires sont les affaires! " Et là-dessus, tu as fait signifier à la pauvre veuve qu'elle eût à déloger sur-le-champ. Ah! Si tu avais pu voir ce qui se passait dans son coeur brisé, alors que, sans argent et sans abri, elle franchissait le seuil de ta maison, se demandant avec effroi où ses enfants trouveraient un gîte pour la nuit, sûrement tu aurais eu pitié d'elle, et une voix intérieure t'aurait dit : "Non, tu ne peux pas jeter ainsi à la rue la veuve et l'orphelin! " Mais tu n'as pas connu son angoisse; tu n'as pas même voulu voir l'infortunée, et tu as commis une mauvaise action. Les lois humaines, je le sais, te donnent droit, mais la loi de Dieu te condamne, car cette loi te dit : Tu aimeras ton prochain comme toi-même.

Un mot aussi à vous, mon riche auditeur. Un jeune homme s'est présenté chez vous l'autre jour. Il vous a dit : " Vous connaissez mon petit commerce. Les temps sont difficiles, ma clientèle n'est pas encore établie; j'ai beaucoup à lutter pour me maintenir sur l'eau.

Cependant, je suis loin de désespérer. Je crois, au contraire, que mon avenir serait assuré, et que d'ici quelques mois j'aurais acquis un bonne position, si seulement vous pourriez me faire quelques avances." - " Jeune homme ", avez-vous répondu d'un ton froid, " j'ai eu beaucoup de mauvaises dettes dernièrement. D'ailleurs, vous ne pouvez offrir aucune garantie sérieuse. Il m'est impossible de vous prêter. " Le jeune homme s'est incliné en silence, et s'est retiré.

Voilà ce que vous savez, ô mon frère; mais ce que vous ignorez, c'est que ce jeune homme, intègre et honnête autant que vous, vous a quitté la mort dans l'âme. Ce que vous ignorez, c'est qu'unique soutien d'une mère âgée et de deux soeurs incapables de subvenir à leurs besoins, il a entrepris son commerce dans le but de leur donner du pain. Ce que vous ignorez encore, c'est que depuis un mois la pauvre famille s'impose toutes sortes de privations, afin de faire honneur à ses affaires. Eussiez-vous aidé ce jeune homme, vous n'auriez probablement rien perdu, et vous auriez assuré le sort de toute une famille. Mais maintenant, le malheureux ne sait que devenir. Son coeur se gonfle, son âme défaille en songeant à sa vieille mère, à ses jeunes soeurs, qui, selon toute apparence, sont à la veille de se trouver sans ressources...."Si j'avais su tout cela," me dites-vous peut-être, "je l'aurais aidé." Et qui est responsable de votre ignorance, si ce n'est vous-même, mon cher auditeur? Votre devoir n'était-il pas, avant de prendre une décision, de questionner celui qui vous demandait un service, et de prendre des renseignements sur son compte?

" Ce n'est point ainsi que se traitent les affaires ", me répondez-vous. C'est possible, mais c'est ainsi qu'un chrétien devrait les traiter. Périssent vos affaires, si elles vous obligent à vous conduire en enfant du diable, et non en enfant de Dieu!

Si vous faites profession de pitié, cherchez à servir Dieu, même dans vos affaires, et n'oubliez pas qu'il vous dit : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Un dernier exemple. Il y a ici une grande dame, à qui Dieu a donné non-seulement l'abondance, mais aussi le superflu, et pour qui l'argent n'a guère plus de valeur que les épingles n'en ont pour d'autres. Elle va parfois visiter les pauvres. Dès qu'elle entre, on s'empresse de lui avancer un siège, e, quand elle est assise , elle commence à discourir fort doctement sur le devoir de la modération et de l'économie. Les pauvres gens qui l'écoutent se demandent, tout surpris, comment il serait possible d'économiser plus qu'ils ne font, car, souvent, ils ne mangent que du pain, et ils ne voient pas ce qu'ils pourraient retrancher à ce maigre ordinaire. Ensuite, la dame leur fait un cours complet d'ordre et de propreté, et se permet, à ce sujet, une infinité de remarques impertinentes sur les vêtements des enfants, qui, hélas! n'en possèdent pas de rechange. Puis, elle se lève, et dit à la mère de famille :" Ma bonne femme, voici un petit livre dont je veux vous faire cadeau; il traite de l'ivrognerie; je vous engage à le donner à votre mari." (Pauvre créature! Si elle le fait, elle sera battue, n'en doutez pas.) "Tenez," ajoute enfin la visiteuse, "je vous donne encore ceci", et elle lui met dans la main une pièce d'argent. Après cela, la dame s'en va, en se disant avec satisfaction : "J'aime mon prochain." - Vous l'aimez, ma soeur? Avez-vous donc traité cette femme avec affection?

"Non." - Lui avez-vous parlé comme une amie parle à son amie? - "Non, sans doute; elle est mon inférieure." - Alors ne vous flattez point d'avoir obéi à cette loi divine : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Et vous dirai-je, chère soeur, ce qui est arrivé, après que vous êtes partie? La mère de famille fondit en larmes, et courut chez son pasteur afin d'être consolée. "Oh! monsieur, " s'écria-t-elle, "je suis bien reconnaissante envers Dieu du petit secours qu'il vient de m'envoyer, mais j'ai cru que mon coeur allait se briser! Une dame est venue me voir, elle m'a donné quelque argent, mais elle m'a parlé d'une manière si offensante, qu'en vérité j'ai eu envie de refuser son aumône. Elle m'a fait affront en présence des enfants, elle m'a humiliée de mille manières, elle m'a tenu les propos les plus pénibles! Oh! qu'il est dur de se voir ainsi traitée, surtout lorsque, comme moi, l'on a connu de meilleurs jours! "

Voilà, ma soeur, quel a été le résultat de votre visite. Non, vous n'aimez pas votre prochain, sans quoi vous n'auriez pas ajouté une nouvelle douleur aux douleurs de votre pauvre soeur. Vous lui avez donné de l'argent, c'est vrai, mais qu'est-ce que de l'argent sans un peu d'amour? La valeur de votre offrande eût été décuplée, si vous y aviez joint la moindre parcelle de vraie charité. Tu aimeras ton prochain.

Oh! plût à Dieu que je pratique toujours moi-même ce saint commandement, et que je parvienne à le faire pénétrer dans le coeur de tous ceux qui m'écoutent ! Le dernier argument, dont je ferai usage, s'applique exclusivement aux enfants de Dieu. Chrétien, mes frères, leur dirai-je, vous devez aimer votre prochain, parce que Christ vous a aimés. Il vous a aimés le premier. Il vous a aimés, quand il n' y avait rien en vous qui fût aimable. Il vous a aimés, quoique vous l'eussiez méconnu, méprisé, insulté. Il vous a aimés avec persévérance, il vous aime d'un amour éternel. Il vous a aimés dans vos chutes, Il vous a aimés dans vos relèvements. Il vous a aimés malgré vos péchés, vos ingratitudes, et vos folies. Son coeur aimant n'a jamais changé, et il a répandu tout le sang de ses veines pour vous prouver son amour.

Il vous donne ici-bas tout ce dont vous avez besoin, et vous prépare dans les cieux une habitation éternelle. O chrétiens, la religion, que vous professez, exige que vous aimiez comme votre Maître a aimé. Il vous a dit, vous le savez : Je vous laisse un exemple, afin que vous suiviez mes traces.

Or, comment pourriez-vous suivre ses traces, à moins que vous n'aimiez? Laissez au mahométan, au juif et au païen, la dureté de coeur et l'insensibilité : de leur part, ces sentiments sont, à quelque degré, excusables; mais en vous, rachetés de Christ, ils seraient la plus étrange des anomalies, la plus choquante des contradictions; et, si vous n'aimiez pas votre prochain, en vérité, je ne sais comment il serait possible que vous fussiez les vrais disciples du Seigneur Jésus.

Chapitre 3

Maintenant, il ne me reste plus qu'à vous faire remarquer, très sommairement, quelques-unes DES IMPORTANTES VERITES QUI RESSORTENT DE MON TEXTE.

La première, c'est que nous sommes tous coupables. En effet, mes bien-aimés, devant ce commandement, qui de nous ne se sent condamné par sa conscience? Puisque la loi de Dieu m'ordonne d'aimer mon prochain, du haut de cette chaire, moi tout le premier, je dois confesser mon péché!

Hier soir, vous le dirai-je? en méditant sur ce texte, j'ai versé des larmes amères au souvenir de tant de paroles dures qui se sont échappées de mes lèvres, de tant d'occasions de faire le bien dont je n'ai pas profité.

J'ai chercher à m'humilier sincèrement devant Dieu, et je suis assuré qu'il n'est personne dans cet auditoire qui ne sentît le besoin de s'humilier avec moi, si la parole de mon texte était appliquée à son âme, par la puissance de l'Esprit de Dieu.

Oui, nous sommes tous coupables! O vous les plus tendres des coeurs, les plus charitables des âmes, dites, n'êtes-vous pas forcés, chacun pour son propre compte, de vous joindre à ce triste aveu?

Et ceci nous suggère naturellement une seconde remarque. Si tout le monde a violé ce commandement, qui peut espérer être sauvé par ses propres mérites? Y a-t-il ici quelqu'un qui, pendant toute sa vie, ait aimé son prochain de tout coeur? Si un tel homme existe, il sera certainement sauvé par ses oeuvres, à condition toutefois qu'il n'ait pas enfreint non plus les autres commandements.

Mais, si vous n'avez pas aimé vos semblables - (et vous savez que vous ne l'avez point fait) - écoutez la sentence de la loi : L'âme qui péchera sera celle qui mourra. N'espérez donc pas être sauvé par les ordonnances de la loi. Quiconque se confie dans la loi périra par loi.

Oh! combien ceci est propre à me faire aimer l'Evangile! Si j'ai transgressé le commandement de mon texte, et je l'ai fait; si, d'un autre côté, je ne puis entrer au ciel sans y avoir parfaitement obéi, précieux à mon âme est ce Sauveur plein d'amour, qui peut laver tous mes péchés dans son sang! Cher à mon coeur est Celui qui veut bien me pardonner mon manque de charité, mon peu de dévouement, ma rudesse et mon égoïsme; jeter un voile sur toutes mes paroles acerbes, sur mes médisances, sur mon étroitesse, sur ma dureté, et qui, malgré tous mes péchés, me donnera enfin une place dans le ciel grâce à son sacrifice expiatoire!

Mes chers amis, vous êtes tous pécheurs; si vous l'aviez ignoré jusqu'à ce jour, l'examen que nous venons de faire a sûrement dû vous convaincre de cette triste vérité. C'est donc comme à des pécheurs que je viens vous annoncer l'évangile. Quiconque croira au Seigneur Jésus sera sauvé.

Et non seulement Dieu pardonnera au pécheur, mais il mettra en lui un nouveau coeur et un esprit droit, en sorte qu'il sera rendu capable, à l'avenir, d'observer à quelque degré la loi de son Père céleste, et qu'il recevra, un jour dans la vie éternelle, la couronne incorruptible de gloire.

Plus qu'un mot. Je ne sais si, dans quelques parties de mon discours, j'ai paru m'adresser personnellement à l'un de vous. Je l'espère. En tout cas, c'était mon désir et mon intention. Je sais qu'il y a beaucoup de gens dans le monde qui, à moins qu'on ne fasse des habits tout exprès pour eux, ne veulent pas les porter; j'ai donc essayé de leur en tailler exactement à leur mesure, afin qu'ils n'aient aucune excuse pour ne pas s'en vêtir.

Si, au lieu de vous écrier : " Comme ce sermon s'appliquait bien à mon voisin!", vous consentez à vous dire : "Comme il s'appliquait bien à moi ! ", j'espère qu'avec l'aide de Dieu mes exhortations ne resteront pas sans fruit.

Et, si quelque personne, aux tendances antinomiennes, disait avec dédain, en sortant de cette enceinte : " On ne nous a prêché aujourd'hui que la légalité ", que cette personne reçoive l'assurance de mon affection, mais qu'elle me permette en même temps de lui dire que son opinion me touche peu.

Mon Sauveur a prêché la morale, et je veux suivre son exemple. Je crois qu'il est bon de rappeler souvent aux chrétiens que leur foi doit se montrer par leurs oeuvres, et aux mondains, que les oeuvres sont la conséquences de la foi. Je crois que le ministre de Christ est tenu d'élever devant tous le plus parfait idéal de l'amour, de la bonté et de la sainteté, et de ne jamais souffrir que cet idéal soit rabaissé ou amoindri.

Que Dieu vous bénisse tous, mes bien-aimés, et qu'il soit avec vous pour l'amour de Jésus!

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